03/02/2022

Précisions sur la notion de liens de dépendance dans le cadre des intérêts servis entre sociétés liées

La déductibilité des charges financières versées entre sociétés liées est une question à laquelle sont confrontés de nombreux groupes de sociétés.

Par principe, les dispositions de l’article 39, 1-3° du CGI plafonnent la déductibilité des intérêts payés dans la limite d’un taux de référence relativement faible. Cependant, l’article 212, I-a du CGI autorise la déductibilité à hauteur d’un taux de marché s’il est supérieur à ce taux de référence.

Or, l’application des dispositions de l’article 212, I-a du CGI est subordonnée au fait que les intérêts aient été versés à « une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l’article 39 » ainsi qu’au fait que l’entreprise emprunteuse apporte la preuve que le taux pratiqué est celui qu’elle « aurait pu obtenir auprès d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ».

La jurisprudence rendue sur ce sujet au cours des dernières années a permis de mieux cerner les conditions d’application de ce texte. Néanmoins, la majorité des décisions portaient sur les modalités de preuve de la validité du taux pratiqué et non pas sur la qualification « d’entreprise liée ».

L’arrêt rendu par la CAA de Versailles du 28 septembre dernier se prononce sur certains points et portait sur un schéma classique de LBO.

Une société financière (société A) a été créée en vue de l’acquisition d’une société cible. Cette société financière était détenue par 4 groupes d’actionnaires. Deux d’entre eux détenaient leur part directement alors que les deux autres détenaient leur participation de 61,1 % via une autre société financière (société B) dont ils détenaient respectivement 29 % et 71 % des actions.

La société financière A a financé l’acquisition de la société cible via un emprunt obligataire dont les obligations convertibles émises prévoyaient un taux d’intérêt de marché de 9 %.

L’administration fiscale a remis en cause la déductibilité des intérêts payés à l’actionnaire possédant 29 % des parts de la société financière B au motif qu’elle ne serait pas une société liée à la société A constituée pour l’acquisition au sens de l’article 212, I-a du CGI.

Aux termes de l’article 39, 12 du CGI, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision.

Pour déterminer si cet actionnaire dispose en fait du pouvoir de décision sur la société qui a émis les obligations, les juges ont analysé les pactes d’actionnaires qui organisent l’exercice du pouvoir au sein de la société emprunteuse ainsi qu’au sein de la société financière interposée.

La pacte d’actionnaire de la société emprunteuse (société A) a relevé que :

  • la majorité des sièges du comité de direction de la société est attribuée à l’actionnaire détenant 71% des titres de la société interposée ;
  • les décisions de ce comité, dont l’accord préalable est requis pour les décisions importantes, sont prises à la majorité simple de ses membres ;
  • un seul actionnaire, autre que celui dont la déductibilité des intérêts versés est remise en cause, dispose d’un droit de véto ;
  • les comités d’audit et des rémunérations sont composés pour moitié de représentants de l’actionnaire majoritaire de la société interposée.

Le pacte d’actionnaire de la société financière (société B) constituée par deux des quatre actionnaires révèle quant à lui que :

  • le Président est un représentant de la société détenant 71% des titres ;
  • le comité de direction est composé de son président, ainsi que de deux membres désignés respectivement par les 2 sociétés ;
  • les décisions importantes sont prises à la majorité simple de ses membres, le représentant de l’actionnaire minoritaire disposant d’un droit de véto que pour certaines décisions exceptionnelles.

Enfin, la Cour rappelle que le président de la société emprunteuse est également président de la société financière interposée et il s’agit du directeur général de la société détenant 71% de celle-ci.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour a jugé qu’à supposer même que les deux actionnaires de la société financière interposée puissent être regardées comme agissant de concert au sens du I ou du 4° du II de l’article L. 213-10 du code de commerce, seule l’actionnaire majoritaire dispose effectivement d’un pouvoir de décision, sans contrainte particulière.

La Cour n’a donc pas eu besoin de se prononcer sur le fait de savoir (i) s’il existait au cas particulier une action de concert et (ii) si cette action de concert permettait de conclure (ou non) à l’exercice par les concertistes d’un pouvoir de décision. En effet, l’organisation de la gouvernance et la répartition des rôles penchait trop en faveur de l’un des deux actionnaires.

Il faudra donc attendre une nouvelle affaire pour savoir si un contrôle conjoint (ou à tout le moins une action de concert) suffit aux co-contractants (ou concertistes) pour remplir le critère édicté à l’article 39,12 du CGI, question cruciale aujourd’hui insuffisamment éclairé par la jurisprudence.

La Cour a donc refusé la déductibilité des intérêts versés à l’actionnaire minoritaire de cette société interposée dès lors que celle-ci n’exerce pas en fait le pouvoir de décision.