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20/11/2023

Un abandon de créances visant à préserver un chiffre d’affaires futur peut revêtir un caractère commercial

Conseil d’Etat, 26 juillet 2023, n° 463846 « Société Lamaï »

Dans un groupe de sociétés il n’est pas rare que des abandons de créances soient consentis entre les sociétés qui le composent. Néanmoins, en l’absence de reconnaissance par le droit français d’un intérêt de groupe, il convient de raisonner au niveau individuel des entités ; dans ce cadre, la question de la déductibilité des aides octroyées pose régulièrement problème pour l’entité qui consent l’aide.

Le Code général des impôts prévoit à son article 39, 13 que seules les aides à caractère commercial sont déductibles pour les sociétés qui les octroient. Les aides à caractère financier ne sont quant à elles pas déductibles (sauf dans le cadre des dispositifs de prévention ou de traitement des entreprises en difficulté).

En substance, un abandon de créance revêt un caractère financier s’il a pour but de préserver la valeur des titres de la filiale détenus par la société qui abandonne sa créance. A l’inverse, un abandon revêt un caractère commercial s’il est guidé par la volonté de préserver les relations commerciales entre les deux sociétés concernées.

Lorsque les sociétés créancières et débitrices entretiennent à la fois des relations commerciales et financières il convient de déterminer les motivations prépondérantes de l’abandon de créance en cause.

Le Conseil d’Etat a récemment jugé qu’une aide consentie dans le but de développer une activité n’ayant pas encore généré de chiffre d’affaires peut revêtir un caractère commercial si les perspectives de développement de cette activité ne sont pas purement éventuelles à la date de l’octroi de l’aide.

Dans cette affaire, une société ayant une activité informatique a, en 2011, concédé à sa filiale une licence d’utilisation de son savoir-faire relatif à une technologie. Cette concession n’était pas soumise à redevances mais il était prévu que les perfectionnements apportés par la filiale au savoir-faire concédé demeureraient la propriété exclusive de la société mère.

En 2014, la filiale a rencontré des difficultés financières ayant conduit la société mère à lui consentir un abandon de créances avec clause de retour à meilleure fortune. Les autorités fiscales ont estimé que cet abandon de créances était à caractère financier, refusant ainsi à la société mère la déduction de la perte correspondante.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a donné raison à l’administration au motif que même si la société mère avait vocation à se voir délivrer par sa filiale les perfectionnements apportés à la technologie pour les réutiliser dans sa propre activité, cette activité n’avait généré aucun chiffre d’affaires au niveau de la société mère au cours de la période considérée. En effet, cette activité ne s’est développée qu’au cours des années postérieures à l’abandon de créances consenti.

Le Conseil d’Etat annule cet arrêt en affirmant que, pour l’application des dispositions de l’article 39, 13 du Code général des impôts, « la circonstance qu’une aide soit motivée par le développement d’une activité qui, à la date d’octroi de cette aide, n’a permis la réalisation d’aucun chiffre d’affaires est néanmoins susceptible de conférer à l’aide un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité n’apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles ».

Le Conseil d’Etat applique ce considérant de principe aux faits de l’espèce en relevant que les perspectives de développement commercial de la technologie mise à disposition de la filiale à laquelle cette dernière apportait des perfectionnements étaient sérieuses. Pour cela, les juges relèvent qu’au moment où l’abandon de créances a été consenti, la filiale avait commencé à livrer à des clients des pièces fabriquées grâce à cette technologie, ce qui était de nature à valoriser la technologie concernée et, par ricochet, de permettre à la société mère d’envisager une commercialisation de ladite technologie auprès d’autres clients tiers.

Le Conseil d’Etat juge donc que l’abandon de créance consenti à la filiale revêt bien un caractère commercial malgré le fait qu’il pourrait avoir été motivé, pour partie, par des considérations d’ordre financier.

L’autre enseignement de cet arrêt, qui résulte des conclusions de la rapporteur publique plus que de la décision elle-même, est qu’un abandon de créances consenti dans le but de préserver des redevances futures peut « indéniablement, justifier un abandon de créances de nature commerciale ».