Appréciation du caractère commercial d’une aide au regard du seul intérêt de la société qui l’octroie
Le Conseil d’État précise les principes concernant la déduction des aides intragroupe et souligne que le caractère commercial de ces aides est évalué exclusivement en fonction de l’intérêt propre de l’entreprise accordant l’aide.
Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 29/12/2023, 455810, Inédit au recueil Lebon
Le législateur a encadré la fiscalité des aides intragroupe en établissant une distinction entre celles à caractère commercial qui sont déductibles si elles revêtent un caractère normal et celles à caractère financier qui ne le sont pas sauf dans des circonstances exceptionnelles telles que les procédures de conciliation homologuée, de sauvegarde ou de redressement (art. 39, 13 du CGI).
En substance, l’aide est à caractère commercial lorsqu’elle vise, pour la société qui l’octroi, à maintenir des débouchés commerciaux ou à préserver des sources d’approvisionnement. A l’inverse, l’aide est à caractère financier lorsque la nature de la créance et les liens existant entre les parties, exclusifs de toute relation commerciale, présentent un caractère strictement financier.
Dans un arrêt rendu le 29 décembre 2023, le Conseil d’Etat apporte une précision inédite dans le cas où la société qui octroie l’aide n’est pas l’associée unique (ni même majoritaire) de la société bénéficiaire. Le Conseil d’Etat profite également de cet arrêt pour confirmer un principe dégagé dans un de ses précédents arrêts éclairant la notion d’aide commerciale déductible (Conseil d’Etat, 26 juillet 2023, n° 463846, « Société Lamaï »).
La société française Gervais Danone a fait l’objet d’un contrôle fiscal à l’issue duquel l’administration a remis en cause la déduction d’une subvention d’un montant de près de 40 millions d’euros accordée à sa filiale turque dans laquelle elle détenait une participation minoritaire à hauteur de 22 %.
La société Gervais Danone avait considéré que cette aide était de nature commerciale dès lors qu’elle résultait de la concession à sa filiale turque, alors lourdement déficitaire, du droit d’exploiter plusieurs actifs incorporels dont elle était propriétaire (marques du groupe, brevets et savoir-faire) afin que cette dernière fabrique et vende des produits laitiers sur le marché turc sous les marques Danone.
Contrairement à la position de l’administration suivie par les juges du fond, le Conseil d’Etat confirme la déductibilité de cette subvention. Cette solution apporte deux précisions importantes.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat précise que le fait que l’actionnaire majoritaire de la filiale turque, également membre du groupe, disposait d’un intérêt financier à la préservation du renom de la marque, n’exclut pas que l’actionnaire minoritaire puisse avoir un intérêt commercial à octroyer une aide. Le fait que l’actionnaire majoritaire n’ait pas participé au financement de l’aide est également sans incidence ; seul compte l’intérêt propre de la société qui octroie l’aide.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat confirme le principe dégagé dans son arrêt « Société Lamaï » rendu le 26 juillet 2023 selon lequel la circonstance qu’une aide soit motivée par le développement d’une activité qui, à la date de son octroi, n’a permis la réalisation d’aucun chiffre d’affaires est néanmoins susceptible de conférer un caractère commercial à l’aide « lorsque les perspectives de développement de cette activité n’apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles ».
Le Conseil d’Etat réaffirme certains principes fondamentaux relatifs à la déduction des aides intragroupe, à savoir que c’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise qui consent l’aide que le caractère commercial s’apprécie, que la loi n’interdit pas que l’intérêt commercial puisse résulter dans un chiffre d’affaires futur qui n’est pas purement éventuel et, enfin, que ces éléments s’apprécient à la date d’octroi de l’aide (précision importante à l’heure où les services fiscaux ont tendance à s’appuyer sur des éléments post période de contrôle pour en tirer des conclusions sur les opérations soumises à examen).
A noter que dans l’affaire Gervais Danone, la subvention a été octroyée avant l’entrée en vigueur de la loi de finances rectificative du 16 août 2012 qui a exclu la déduction des aides intragroupe autres que commerciales. Néanmoins, les précisions apportées par le Conseil d’Etat dans cet arrêt paraissent transposables aux textes actuellement en vigueur.
Pour retrouver les dernières publications du département Droit Fiscal, cliquez ici.