03/02/2022

Actualités Droit social – Janvier 2022

Nullité du licenciement : le salarié réintégré acquiert des congés payés pendant la période d’éviction

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 décembre 2021, 19-24.766 19-25.812 19-26.269

Un salarié victime d’un accident du travail avait été licencié pour insuffisance professionnelle alors que son contrat de travail était suspendu. La Cour d’appel annulé le licenciement au motif qu’il n’a pas été prononcé pour un motif prévu par l’article L 1226-9 du Code du travail (i.e faute grave ou impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie). Si la Cour d’appel a ordonné la réintégration du salarié et condamné en conséquence l’employeur au paiement d’une indemnité d’éviction correspondant à la période comprise entre la date de son licenciement et la date de sa réintégration, déduction faite des revenus de remplacement ; elle a , en revanche, débouté le salarié de sa demande de congés payés afférente à l’indemnité d’éviction. Ce faisant, la décision de la Cour d’appel s’inscrivait dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui jugeait avec constance que la période d’éviction ouvrant droit, non à une acquisition de jours de congés, mais à une indemnité d’éviction, le salarié ne pouvait bénéficier de jours de congés pour cette période (Cass. soc. 11-5-2017 n° 15-19.731). Il ressortait de cette jurisprudence que la nature indemnitaire de l’indemnité d’éviction, tout comme le fait que la période d’éviction ne pouvait pas être assimilée à un temps de travail effectif, faisaient obstacle à l’acquisition de jours de congés payés pendant la période écoulée entre le licenciement et la réintégration du salarié.

Pourtant, cette position était en contradiction avec un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 25 juin 2020. La CJUE a en effet considéré que l’article 7, § 1 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur (CJUE 25-6-2020 aff. 762/18 et aff. 37/19).

Dans ces conditions, la chambre sociale de la Cour de cassation ne pouvait plus maintenir sa position et opère un revirement de jurisprudence. Ainsi, elle affirme qu’il y a désormais lieu de juger que, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du Code du travail.

 

L’impossibilité de réintégrer le salarié harceleur 

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 décembre 2021, 19-25.715

Une salariée protégée est licenciée pour faute grave avec autorisation de l’inspecteur du travail. Cette autorisation est annulée pour défaut de motivation. La salariée a donc sollicité, devant le juge prud’homal, sa réintégration au sein de l’entreprise à laquelle l’employeur s’oppose en invoquant son obligation de sécurité.

La Cour de cassation vient consacrer un nouveau cas d’impossibilité de réintégration dictée par l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur. Dans cette affaire, la Cour de cassation relève pour justifier sa décision que la salariée protégée était la supérieure hiérarchique des salariés qui se plaignaient de ses méthodes de management, que les salariés soutenaient avoir été victimes de harcèlement moral de la part de l’intéressée et avaient exercé leur droit de retrait au moment de l’annonce de la réintégration de l’intéressée.

La chambre sociale en déduit qu’eu égard à l’obligation de sécurité incombant à l’employeur, il ne lui était pas possible de réintégrer la salariée. Pour la Cour de cassation fait un choix, la santé des salariés prime sur la protection du mandat.

 

Précisions sur les conditions d’approbation des accords collectifs minoritaires

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 janvier 2022, 20-60.270

Depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, la validité d’un accord collectif est conditionnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés lors du premier tour des dernières élections professionnelles des titulaires au comité social et économique (CSE). Toutefois, cette loi a prévu un tempérament au principe majoritaire qu’elle a introduit à l’article L. 2232-12 afin de sauver un accord minoritaire. Ainsi, lorsqu’un accord collectif n’obtient pas la signature des syndicats majoritaires, il peut être soumis à l’approbation du personnel, s’il a été signé par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections.

Ce même article précise que les salariés à consulter sont les salariés des établissements couverts par l’accord et remplissant les conditions pour être électeurs aux élections du CSE.

Par un arrêt du 5 janvier 2022, la Cour de cassation est venue préciser d’une part, les conditions de contestation de cette consultation et, d’autre part, la détermination des salariés devant être consultés.

S’agissant du délai de contestation, elle rappelle qu’aux termes de l’article R. 2232-13 du code du travail, dans le cadre de la consultation pour l’approbation par les salariés des accords minoritaires, les contestations relatives à la liste des salariés devant être consultés et à la régularité de la consultation sont de la compétence du tribunal judiciaire qui statue en dernier ressort. Elles sont introduites dans le délai prévu à l’article R. 2314-24 du même code, lequel dispose que, « lorsque la contestation porte sur la régularité de l’élection ou sur la désignation de représentants syndicaux, la requête n’est recevable que si elle est remise ou adressée dans les quinze jours suivant cette élection ou cette désignation ».

S’agissant de la détermination des salariés pouvant participer à la consultation, la Cour de cassation rappelle qu’aux termes de l’article L. 2232-12 du code du travail, dans les établissements pourvus d’un ou plusieurs délégués syndicaux, participent à la consultation les salariés des établissements couverts par l’accord et électeurs au sens de l’article L. 2314-18 issu de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017. Il en résulte que doivent être consultés l’ensemble des salariés de l’établissement qui remplissent les conditions pour être électeurs dans l’entreprise et non pas les seuls salariés relevant du champ d’application de l’accord considéré.

 

Contrôle URSSAF : la signature des lettres d’observation

CA Versailles 16-12-2021 no21/00821, Sté Sentry Software c/ Urssaf Île-de-France

En principe, à l’issue du contrôle, les agents de l’Urssaf doivent transmettre au représentant légal de la société une lettre d’observations datée et signée par eux, contenant certaines mentions obligatoires (art. R.243-59, III du code de la sécurité sociale). A défaut de signature par l’ensemble des inspecteurs du recouvrement ayant participé aux opérations de contrôle,  la lettre d’observation est irrégulière, cette irrégularité entraînant la nullité du contrôle et du redressement (Cass.  2ème civ.  6 novembre 2014 ; n°13-23.990).

Dans un arrêt du 16 décembre 2021, la cour d’appel de Versailles est venue apporter un tempérament à ce principe : la lettre d’observation doit être signée par tous les inspecteurs ayant participé au contrôle sauf s’ils ne sont plus compétents pour intervenir au moment de la signature.

En l’espèce, un contrôle avait été initié par une première inspectrice du recouvrement de l’Urssaf Île-de-France, laquelle avait quitté l’Urssaf Île-de-France pour rejoindre l’Urssaf Charente-Maritime au cours du contrôle. Une seconde inspectrice du recouvrement de l’Urssaf Île-de-France avait alors repris ce contrôle. Seule la seconde inspectrice avait signé la lettre d’observations envoyée à la société contrôlée. Cette dernière, constatant que la lettre d’observation n’avait pas été signée par les deux inspectrices, estimait que le contrôle devait être annulé.

La Cour d’appel de Versailles est ainsi venue préciser que la règle de la signature de la lettre d’observations par tous les inspecteurs ayant participé au contrôle doit être écartée dès lors qu’au moment de la signature du document l’un des inspecteurs n’a plus qualité ou n’est plus compétent pour intervenir. Elle ajoute que la signature de la lettre d’observations par le seul inspecteur ayant qualité pour y procéder répond au principe de la continuité du service public, qui est un principe général du droit.

 

Un plan de cession arrêté par le Tribunal de Commerce prévoyant une suppression de postes ne constitue pas une impossibilité de maintenir le contrat de travail d’un salarié en accident du travail autorisant le licenciement.

Cass. Soc 5 janvier 2022 : n°19-24.813

Un salarié victime d’un accident du travail était en arrêt de travail lorsque son employeur a été placé en liquidation judiciaire.

Il a été licencié pour motif économique par l’administrateur judiciaire en raison de la suppression de son poste.

Il a contesté la validité de son licenciement sur le fondement des dispositions de l’article L.1226-9 du Code du travail relatives à la protection contre la rupture des salariés en accident du travail ou en maladie professionnelle.

Pour mémoire, au cours des périodes de suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, l’employeur ne peut rompre le contrat que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.

Le salarié a soutenu que ni l’existence d’une cause économique ni l’application de l’ordre des licenciements ne suffisaient à caractériser l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’accident.
La Cour d’appel ne l’a pas suivi dans son raisonnement et a jugé que la cession autorisée par le Tribunal avec reprise de certains contrats de travail n’incluant pas celui du salarié concerné justifiait de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l’accident.

La Chambre sociale a cassé l’arrêt. Ces motifs ne peuvent caractériser une impossibilité de maintenir le contrat de travail.

La Cour de cassation fait une application très restrictive de cette notion.

A ce jour, l’impossibilité de maintenir le contrat de travail d’un salarié n’est caractérisée qu’en cas de cessation d’activité de l’employeur (Soc, 15 mars 2005, n°03-43.038).

Le licenciement pour faute grave d’un salarié dénonçant des pratiques contraires à la déontologie est nul.

Cass. Soc 19 janvier 2022 : n°20-10.057

Un salarié d’un cabinet d’expertise-comptable et de commissariat aux comptes a alerté son employeur sur une situation de conflit d’intérêts entre ses missions d’expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, en précisant qu’à défaut de pouvoir discuter de cette question avec son employeur, il saisirait la Compagnie régionale des commissaires aux comptes. Il saisit cet organisme par lettre, la veille de l’entretien préalable au licenciement. Il est ensuite licencié pour faute grave.

Il a saisi la juridiction prud’homale aux fins de contester la validité de son licenciement ou à défaut la légitimité du licenciement.

La Cour d’appel accède à sa demande et juge le licenciement nul pour violation d’une liberté fondamentale.

La société forme un pourvoi en cassation. Elle soutient notamment que le licenciement ne pouvait être entaché de nullité dès lors que, d’une part, la protection du lanceur d’alerte s’applique aux seuls licenciements prononcés après la dénonciation d’infractions pénales, et d’autre part, que le signalement du salarié était empreint de mauvaise foi car intervenant après des reproches qui lui avaient été formulés.

La Chambre sociale a rejeté le pourvoi après avoir retenu :

« En raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité ».

La Cour d’appel avait effectivement relevé que :

– La lettre de licenciement reprochait expressément au salarié d’avoir menacé de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes ;

– La procédure de licenciement a été mise en œuvre concomitamment à cette alerte et à la saisine par le salarié de cet organisme professionnel après que l’employeur lui eut refusé toute explication sur cette situation.

 

Est éligible au CSE le responsable interne du service de sécurité et des conditions de travail ou à défaut l’agent chargé de la sécurité et des conditions du travail qui est amené à intervenir ponctuellement lors de certaines réunions de CSE avec voix consultative.

Cass. Soc. 19 janvier 2022, nº 19-25.982

La CFDT a sollicité l’annulation des élections de CSE, après contesté la candidature présentée par FO d’une salariée dans le cadre des élections de CSE.

Le Tribunal d’Instance l’a débouté de sa demande au motif que la salariée ne disposait pas d’une délégation écrite d’autorité lui permettant d’être assimilée au chef d’entreprise.

Un pourvoi a été inscrit par la CFDT qui soutenait d’une part que le Tribunal aurait dû rechercher si la salariée représentait effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel, indépendamment d’une délégation écrite, et d’autre part, qu’un même salarié ne peut exercer des fonctions délibératives en qualité d’élu et consultatives en une autre qualité.

La Cour de cassation a rejeté le moyen en ces termes, en retenant que dès lors qu’ils interviennent de façon ponctuelle lors des seules réunions visées à l’article L. 2314-3 du code du travail en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail afin d’éclairer les membres du CSE et disposent d’une voix seulement consultative, le responsable du service de sécurité et des conditions de travail, ainsi que l’agent chargé de la sécurité et des conditions de travail, ne représentent pas l’employeur devant les institutions représentatives du personnel et sont éligibles au CSE.

 

Le seul dépassement de la durée maximale de travail de 48 heures par semaine ouvre droit à réparation.

Cass. Soc. 26 janvier 2022, nº 20-21.636

Un chauffeur-livreur s’est vu notifier la rupture de sa période d’essai. L’employeur a saisi la juridiction prud’homale en remboursement de salaire trop-perçu et en paiement de dommages et intérêts.

Le salarié a été débouté de sa demande en dommages-intérêts pour violation de la durée maximale du travail.

La Cour a constaté que si le salarié avait effectivement travaillé 50,45 heures durant la semaine du 6 au 11 juillet 2015, il ne démontrait pas que ce dépassement lui avait porté préjudice.

La Cour de cassation casse et annule cette décision en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée par la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique (CJUE, 14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 53).

Le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail de 48 heures par semaine ouvre droit à réparation.

 

Actualité législative : loi sur le passe vaccinal : la possibilité d’un nouveau report des visites médicales 

Afin de permettre aux services de santé de mobiliser leurs efforts dans la campagne de vaccination, la loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire n°2022-46 du 22 janvier 2022 autorise une nouvelle fois le report de certaines visites médicales, lorsque leur maintien ne sont pas indispensables.

Il convient de distinguer :

– Les visites médicales qui auraient dû intervenir entre le 15 décembre 2021 et une date fixée par décret, ou au plus part le 31 juillet 2022, arrivant à échéance pour la première fois: report possible à 12 mois maximum;

– Les visites médicales déjà reportées une fois en application de l’ordonnance du 3 décembre 2020 et : report possible à 6 mois maximum.

Un décret doit intervenir pour préciser les dates, la liste des visites médicales concernées ainsi que des modalités particulières pour les travailleurs faisant l’objet d’un suivi médical adapté ou renforcé.