05/07/2017

Amendement Charasse : l’écueil du contrôle conjoint

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Nantes* apporte un éclairage intéressant sur l’application de l’amendement Charasse à une situation, relativement courante dans la pratique des LBO, où une société cible est cédée par l’actionnaire qui la contrôle à une société holding formée entre, d’une part, cet actionnaire historique et, d’autre part, des investisseurs.

Au cas particulier, un associé qui détenait le contrôle exclusif d’une société dans laquelle il exerçait son activité avait cédé l’intégralité de sa participation à une société holding dans le cadre d’un LBO. Le capital social de cette dernière était composé de deux fonds d’investissements, pour 47,6% au total, de l’actionnaire historique cédant, à hauteur de 45,3%, et de cadres salariés du groupe pour 7,1%. La holding de LBO avait, postérieurement à l’opération de rachat, formé une intégration fiscale avec la société cible.

L’administration fiscale, lors d’un contrôle de la société holding, a considéré que l’actionnaire historique détenait, conjointement avec les fonds d’investissements, le contrôle de la société holding de LBO. En conséquence, elle a rejeté la déduction des charges financières supportées à l’occasion de l’opération de LBO sur le fondement du fameux amendement Charasse (6ème alinéa de l’article 223 B du Code général des impôts).

On rappelle que cet amendement a pour objectif d’interdire de façon temporaire la déduction des charges financières rattachables à une opération de « rachat à soi-même », lorsque le cédant (ou les entités qui le contrôlent directement ou indirectement) contrôle(nt) également la société qui procède au rachat. Cette interdiction intervient lorsque la société cible est rattachée au groupe d’intégration fiscale formé (ou dont fait partie) la société holding de rachat.

La notion de contrôle s’entend, pour les besoins de l’exercice, au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, qui inclut le cas du contrôle conjoint, c’est-à-dire la situation où une ou plusieurs personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale.

L’originalité de l’arrêt de la Cour d’appel tient à deux points principaux :

D’une part, et c’est une solution inédite, la Cour considère que le fait qu’il n’y ait pas identité stricte entre les actionnaires « contrôlants » de la société cible (avant rachat) et les actionnaires « contrôlants » de la société cessionnaire, n’est pas un obstacle en soi à l’application de l’amendement Charasse. En effet, la Cour prend pour principe que ce dispositif s’applique dans le cas où l’actionnaire de la société cédante exerce, de concert avec d’autres actionnaires, le contrôle de la société cessionnaire (contrôle exclusif d’un côté, contrôle conjoint de l’autre).

D’autre part, pour établir l’existence du contrôle conjoint, la Cour s’appuie sur deux éléments principaux :

– le pacte d’associés, et notamment son exposé préalable, qui soulignait que l’entrée des fonds était liée et conditionnée à la participation de l’actionnaire historique cédant au projet et à la capacité des cadres dirigeants devenus associés de mener à bien le projet de développement de la société cible, tel que ce projet était décrit en annexe (probablement sous la forme d’un business plan) . En conséquence, pour la Cour, le pacte d’associés était le siège de l’action de concert ;

– les statuts de la société holding, d’où il résultait que les décisions prises en assemblée générale extraordinaire comme en assemblée ordinaire requéraient l’accord de deux blocs d’associés. Ces deux blocs d’associés, qui agissent de concert (cf. commentaires ci-dessus), déterminaient donc en fait les décisions prises en assemblée générale.

La solution retenue par la Cour d’appel mériterait confirmation, notamment sur la caractérisation du contrôle conjoint. A la date de publication de la présente lettre d’information, aucun pourvoi n’a été formé par le contribuable devant le Conseil d’Etat.

* CAA Nantes 4 mai 2017 n°15NT01908, SAS Mi Développement.