APA et subvention indirecte
CE, 1er juillet 2020, Lafarge, n° 418378
Par une décision récente, le Conseil d’Etat a précisé les conséquences résultant de la détermination de la parité d’échange d’un apport dont la parité d’échange a été calculée sur la base des valeurs comptables.
Pour rappel, lorsqu’une société réalise un apport d’actifs à une autre société, celle-ci se voit remettre en échange des titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l’apport. Le nombre de titres devant être remis à la société apporteuse doit en principe être déterminé sur la base de la valeur réelle des actifs apportés et des titres de la société qui les reçoit (parité d’échange).
Au cas d’espèce, une société a apporté des titres de participations (détenus dans deux filiales à 99,99% et 99,77%) à une filiale qu’elle détenait à 100%, le nombre de titres reçus en contrepartie de cet apport ayant été déterminé sur la base de la valeur comptable dscherres titres apportés, d’une part, et des titres de la société bénéficiaire de l’apport, d’autre part.
Or, au cas particulier, les valeurs comptables étaient distinctes des valeurs réelles, de sorte que la détermination de la parité d’échange en fonction des valeurs comptables a conduit à réduire le nombre de titres reçus par la société apporteuse en contrepartie de son apport.
En se fondant sur ce raisonnement, l’administration fiscale a estimé que la société apporteuse avait consenti un avantage à sa filiale à hauteur de la différence entre la valeur réelle des titres apportés et la valeur réelle des titres émis en rémunération de l’apport. Cette différence a été considérée comme une subvention indirecte, au sens du dispositif de l’intégration fiscale.
Dès lors, l’administration fiscale a rectifié le déficit de la filiale bénéficiaire de l’apport et a mis à la charge de la société apporteuse l’amende prévue par l’article 1763 I. c) du CGI (5%), applicable en cas de défaut de mention des rectifications apportées au résultat d’ensemble à raison des subventions directes ou indirectes consenties entre sociétés membres d’un groupe d’intégration fiscale.
A noter que dans cette affaire, la Haute Juridiction n’avait à se prononcer que sur l’amende mise à la charge de la société apporteuse, la contestation de la rectification du résultat de la filiale faisant l’objet d’une procédure distincte par ailleurs.
Le Conseil d’Etat a suivi le raisonnement tenu par l’administration fiscale en jugeant que, malgré le fait que la minoration du nombre de titres émis en contrepartie de l’apport soit sans incidence sur l’actif net de la société bénéficiaire de cet apport, la société apporteuse devait être regardée comme ayant accordé une subvention à la société bénéficiaire de l’apport.
Le Conseil d’Etat a notamment écarté l’argument avancé par la société apporteuse selon lequel l’avantage consenti avait eu pour contrepartie un accroissement de la valorisation de sa filiale détenue à 100 %.
Bien que l’obligation déclarative fondant l’amende de 5 % mise à la charge de la société apporteuse ait été supprimée pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019 (les subventions et abandons de créances n’étant plus neutralisés au sein de l’intégration fiscale à compter de cette date), cet arrêt apporte des précisions importantes sur le sujet des apports réalisés à une valeur sous-évaluée. Il s’inscrit pleinement dans la ligne jurisprudentielle relative à la valorisation des apports construite ces dernières années par le Conseil d’Etat (notamment CE, 9 mai 2018, Sté Cérès, n° 387071).
Il est intéressant de noter que s’agissant de la rectification du résultat de la société bénéficiaire de l’apport, le Tribunal administratif de Montreuil a confirmé le redressement opéré par l’administration fiscale (TA Montreuil, 19 décembre 2019, n° 1707095).
Néanmoins, la précision apportée par le Conseil d’Etat selon laquelle la minoration du nombre de titres émis en contrepartie de l’apport est sans incidence sur l’actif net de la société bénéficiaire de cet apport pourrait renforcer la position selon laquelle le résultat de la société bénéficiaire de l’apport ne doive pas faire l’objet d’une rectification à hauteur de l’avantage accordé. Il sera donc intéressant de connaître la position de la Cour administrative d’appel de Versailles, appelée à se prononcer en seconde instance sur le traitement fiscal de l’opération chez la société bénéficiaire de l’apport.
Enfin, il est permis de s’interroger sur la pérennité de la tolérance administrative admettant, dans certaines circonstances particulières, le calcul des parités d’échange des apports partiels d’actifs sur la base des valeurs comptables (BOI-FUS-30-20 n°40).