20/04/2021

Commotions cérébrales dans le rugby : vers un casse-tête juridique ?

Walter Spanghero, ancien capitaine de l’équipe de France de rugby et aujourd’hui âgé de 77 ans disait « On prend goût aux douleurs que le rugby provoque. Un match qui ne fait pas mal est un match raté. ».

A l’image de la citation de celui qui était surnommé Iron Man par les Sud-Africains, le rugby a la réputation d’un sport violent dans lequel les blessures sont légions. Il n’est donc pas rare que, lors des rencontres sportives amateurs ou professionnelles, les joueurs subissent des commotions cérébrales à la suite notamment de plaquages.

A moyen et long terme, ces commotions peuvent aboutir à des troubles neurologiques graves (perte de mémoire, troubles du comportement, etc.). Un article du Journal de Traumatologie du Sport en 2018 [1] publie les résultats d’une étude selon laquelle la commotion cérébrale est un évènement non négligeable dans le rugby professionnel car l’incidence est de 0,31 commotion par match, soit une commotion tous les trois matchs effectifs. Par ailleurs, une étude plus récente a démontré que 20% des joueurs de Premiership ont subi au moins une commotion cérébrale durant la saison 2018-2019.

La protection des sportifs contre les blessures graves [2] , est devenue, au fur et à mesure de la professionnalisation du sport, un sujet d’actualité, et ce, à plusieurs points de vue : sportif, médical et dorénavant juridique.

Le sujet des commotions cérébrales dans les sports de contact pouvant potentiellement entraîner une démence (dont le nom scientifique est encéphalopathie chronique post-traumatique) a été mis en lumière par le recours collectif exercé en 2012 par plus de 4500 joueurs de football américain contre leur fédération, la NFL (National Football League), accusant cette dernière d’avoir dissimulé les risques de commotions cérébrales sur leur santé. A l’époque un accord avait été conclu débouchant sur le versement de plus d’un milliard de dollars sur 65 ans aux joueurs victimes de troubles neurologiques consécutifs aux commotions répétées.

Assez tôt, les différentes fédérations de sports de contact ont mis en place des mesures et des protocoles de prise en charge de la commotion cérébrale. On peut citer à titre d’exemple le cas des sports de combats comme la boxe et le karaté, mais aussi dans le football lorsque fin 2020 les clubs de Premier League ont voté en faveur de l’introduction de deux remplacements supplémentaires par match et par équipe en cas de commotion cérébrale.

Concernant le rugby, il existe un protocole commotion visant à empêcher les joueurs touchés de revenir trop tôt sur le terrain. En effet, depuis 2012, le protocole HIA (Head Injury Assessment) mis en place dans les championnats du Top 14 et de Pro D2 ainsi que le dispositif « carton bleu » pour les championnats Top 8 féminin et fédérale 1 masculin permettent la mise en place d’un protocole strict à la suite de chocs violents pouvant entraîner des commotions cérébrales.

La procédure impose, pour toute suspicion de commotion cérébrale : une sortie définitive du joueur en question, un examen neurologique au bord du terrain, un second examen neurologique 48 heures après le choc, une période de repos de trois semaines, un protocole de reprise par paliers décrit par la World Rugby et une consultation dite de retour au jeu.

Concernant la répétition des commotions, les protocoles de la Fédération Française de Rugby (FFR) et de la Ligue Nationale de Rugby (LNR) imposent qu’en cas de survenance de trois commotions au cours des 12 derniers mois, un arrêt de 3 mois doit avoir lieu avec une évaluation par deux experts avant d’autoriser la reprise.

Dans la pratique, force est de constater que les arbitres, lors des rencontres professionnelles, font preuve de plus en plus de sévérité à l’égard des joueurs commettant des fautes pouvant entrainer des blessures graves en particulier lors de contact avec la tête incluant le cou et le visage et n’hésitent plus à sortir des cartons rouges [3] .

Prenant exemple sur l’action en justice intentée par les anciens joueurs de la NFL susmentionnée, au mois de décembre 2020, une centaine de joueurs anglais et gallois, âgés de 20 à 50 ans ont décidé d’intenter une action de groupe en justice contre World Rugby [4] , la Fédération anglaise (RFU) et la Fédération galloise (WRU) pour « défaut de protection contre les risques encourus après des commotions cérébrales ». Parmi ces joueurs, Dan Scarbrough qui a rejoint le mouvement en mars 2021 après avoir été diagnostiqué de démence en décembre 2020, mais aussi des joueurs passés par des clubs français tels que Carl Hayman ou encore Alix Popham et Steve Thompson, deux anciens joueurs de Brive.

En France, en 2019, l’ancien deuxième ligne canadien Jamie Cudmore a porté plainte en 2019 contre X auprès du procureur de la République de Clermont-Ferrand pour « mise en danger de la vie d’autrui » suite à de multiples commotions lorsqu’il évoluait à l’ASM.

Plus récemment encore, l’ancien joueur de Fédérale 1, Quentin Garcia, qui évoluait à Chambéry, a décidé d’attaquer son ancien club pour « blessures involontaires ».

Toute ces actions ont pour point commun l’objectif de la part des plaignants d’obtenir des dommages-intérêts. Il est intéressant de soulever que les procédures intentées au Royaume-Uni s’effectuent dans le cadre d’actions de groupe contre les fédérations, à la différence de la France dont les actions sont individuelles, au pénal, à l’encontre directement des clubs. A l’heure actuelle, nous sommes toujours dans l’attente des décisions judiciaires.

Affaire à suivre…

[1] A. Radafy, A. Savigny, S. Blanchard, J.-F. Chermann, « Incidence et mécanisme des commotions cérébrales dans le rugby professionnel : 2 clubs du top 14 », Journal de Traumatologie du Sport 35 (2018) 75-81

[2] A ce titre il convient de préciser que la protection de la santé des sportifs et le renforcement de la sécurité des pratiques forment un des quatre axes de la stratégie nationale sport santé 2019-2021 portée par les ministères chargés des sports et de la santé.

[3] A l’image du carton rouge pris par le deuxième ligne Paul Willemse suspendu pour 2 matches après son carton rouge contre Galles, samedi 20 mars 2021 lors de la 5ème journée du tournoi des six nations.

[4] De son côté, Bill Beaumont, président de la World Rugby affirme que « les mesures de protection nécessaires dans le rugby sont en place ».