26/01/2018

De la prise en compte du secret des affaires dans les mesures d’instruction

Faits
Un agent général d’assurance, qui travaillait simultanément pour le compte de deux sociétés d’assurance a démissionné des mandats qu’il occupait pour le compte de l’une d’entre elles.
A la suite de cette démission, la société pour le compte de laquelle il occupait les mandats, l’a assigné, le suspectant de se prêter à une concurrence statutairement interdite, voire déloyale, afin d’obtenir communication de toutes les pièces utiles pour qualifier et mesurer celle-ci.
Cette action était fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile (CPC), lequel permet d’ordonner des mesures d’instruction légalement admissibles s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.

Procédure
Le juge de première instance fait droit à la demande basée sur l’article 145 du Code de Procédure Civile et autorise la communication de pièces permettant de retracer les activités de l’agent général d’assurance dans le cadre des mandats qu’il occupe pour le compte de la société concurrente.
L’agent interjette appel de cette décision. La société concurrente, ne souhaitant pas voir divulguées à la société concurrencée des informations confidentielles concernant notamment le portefeuille de clientèle, intervient alors volontairement en cause d’appel. Elle propose à la cour que soit substituée aux mesures d’instruction ordonnées par le juge de première instance, une mesure d’expertise confiée à un tiers soumis au secret professionnel. Cette mesure d’expertise permettrait une meilleure protection du secret des affaires de la société concurrente.
La cour d’appel de Douai, par un arrêt en date du 28 septembre 2015, rejette la demande d’expertise indépendante proposée par la société concurrente et confirme la communication des fichiers ordonnée par le juge de première instance. Elle décide que ni le secret des affaires ni le fait que la société concurrente soit propriétaire du « fichier clients » ne suffisent à justifier l’opposition à la production en justice d’éléments de preuve que l’autre partie ne peut obtenir par ses propres moyens et qui sont nécessaires à l’appréciation de l’existence et de l’ampleur d’un détournement de clientèle permettant de qualifier une concurrence déloyale.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation casse cet arrêt pour manque de base légale.

Analyse
Dans cet arrêt du 22 juin 2017 (pourvoi n°15-27845), la première chambre civile de la Cour de cassation innove en cassant l’arrêt de la Cour d’appel. Elle reproche à cette dernière de ne pas avoir recherché si la mesure d’instruction proposée, confiée à un tiers soumis au secret professionnel, n’était pas plus proportionnée, en comparaison des mesures de l’article 145 du Code de procédure civile, à la fois au droit de la société concurrencée d’établir la preuve des actes de concurrence déloyale et à la préservation du secret des affaires de la société concurrente.
Cette approche « proportionnée » est nouvelle en matière de secret des affaires et hisse ce secret au rang des motifs légitimes susceptibles de s’opposer aux mesures d’instructions in futurum.
La Cour de cassation préconise ainsi d’opérer une balance entre les intérêts en présence.