15/01/2020

e-Réputation et droit au déréférencement sur les moteurs de recherche : le Conseil d’Etat clarifie la méthodologie d’analyse en 13 décisions

Le 6 décembre 2019, le Conseil d’Etat a rendu 13 décisions déterminant les hypothèses dans lesquelles un moteur de recherche doit respecter le droit au déréférencement d’une personne physique, conformément à l’article 17 du Règlement (UE) 2016/679 (« RGPD »).

Dans les 13 affaires tranchées par le Conseil d’Etat, des particuliers avaient demandé à Google de déréférencer des liens menant vers des pages Internet contenant des données personnelles les concernant. Google n’ayant pas fait droit à leurs demandes, ils avaient saisi la CNIL d’une plainte afin qu’elle mette en demeure Google de procéder auxdits déréférencements. Leurs plaintes ayant été rejetées par la CNIL, ils ont saisi le Conseil d’Etat afin que ce dernier annule les décisions de la CNIL.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat rappelle utilement que ce droit au déréférencement a vocation à être mis en œuvre dans l’hypothèse où une recherche est effectuée sur un moteur de recherche en utilisant, en guise de mots-clefs, le nom et le prénom d’une personne physique.

Il rappelle également que le déréférencement d’un lien associant au nom d’une personne physique une page Internet contenant des données personnelles la concernant est un droit mais que ce droit n’est toutefois pas absolu.

Ensuite, le Conseil d’Etat s’attache à préciser les cadres applicables au référencement, d’une part, de données personnelles « non sensibles » et, d’autre part, de données personnelles relevant de catégories particulières au sens de l’article 9 du RGPD – par exemple, les données de santé, les opinions politiques, les convictions religieuses –, et de données personnelles portant sur des condamnations pénales et infractions – c’est-à-dire, les données relatives à une procédure judiciaire ou à une condamnation pénale –, au sens de l’article 10 du RGPD.

Dans les deux cas, une balance doit être effectuée entre le droit au déréférencement du demandeur et le droit à l’information du public.

Cette balance relève d’une appréciation in concreto, en prenant en compte des critères listés par le Conseil d’Etat. Ainsi, pèsent dans la balance, d’une part, la nature des données en cause, leur contenu, leur caractère plus ou moins objectif, leur exactitude, leur source, les conditions et la date de leur mise en ligne et les répercussions que leur référencement est susceptible d’avoir pour la personne concernée, et, d’autre part, la notoriété de cette personne, son rôle dans la vie publique, sa fonction dans la société et la possibilité d’accéder aux mêmes informations à partir d’une recherche portant sur des mots-clefs ne mentionnant pas le nom de la personne concernée.

Si les critères d’appréciation sont les mêmes qu’ils s’agissent de données sensibles/judiciaires ou non, le curseur ne sera toutefois pas placé au même endroit pour effectuer l’analyse : le droit au référencement est plus fort concernant les données sensibles.

 

Plus spécifiquement, concernant les référencements de données personnelles « non sensibles », le Conseil d’Etat affirme que la personne concernée peut demander un déréférencement de liens qui mènent vers des pages Internet contenant ce type de données, en se fondant sur l’une des bases de l’article 17 du RGPD. Le moteur de recherche pourra s’opposer au déréférencement s’il existe un intérêt prépondérant du public à accéder aux pages Internet référencées.

– Ainsi, le Conseil d’Etat a estimé que la balance penchait dans le sens de l’intérêt prépondérant du public à accéder aux pages Internet quand les données personnelles référencées portaient sur des personnalités du monde économique et des personnalités politiques de premier plan (affaire N° 395335) et quand elles consistaient en une liste de publications, bien qu’anciennes, de la personne concernée (affaire N° 409212).

– Au contraire, le Conseil d’Etat a considéré que devaient être déréférencés les liens menant vers des pages Internet informant le public que la personne concernée avait déposé un brevet en 2006, information considérée comme ancienne par le Conseil d’Etat et accessible depuis les registres nationaux (affaire N° 4059910).

 

Concernant, cette fois, les référencements de données relevant de catégories particulières et de données personnelles portant sur des condamnations pénales et infractions, le Conseil d’Etat affirme que la personne concernée doit obtenir un déréférencement des liens qui mènent vers des pages Internet incluant ce type de données sauf si le maintien du lien est strictement nécessaire à l’information du public.

– Ce sera le cas pour des liens menant vers des articles traitant de la condamnation d’une personnalité du monde politique pour apologie de crimes de guerre ou contre l’humanité (affaire N° 405464).

– Au contraire, le maintien des liens n’est pas considéré comme strictement nécessaire à l’information du public dans le cas où les liens menaient vers des données relatives aux convictions religieuses passées de la personne concernée et à une procédure pénale impliquant cette personne (affaire N° 393769), quand les informations ne provenaient que de « rumeurs » et qu’il était possible d’accéder à l’information par d’autres liens (affaire N° 365335), quand elles concernaient des condamnations pénales anciennes, particulièrement graves, qui avaient un impact conséquent sur la vie actuelle de la personne concernée qui ne jouit pas de notoriété (affaire N° 401258), et quand elles concernaient la vie sexuelle de la personne concernée, bien que cette personne ait rendu elle-même publique cette information (affaire N° 409212),

 

Bien qu’il s’agisse de cas d’espèce, et que chaque affaire nécessite une analyse propre, ces décisions ont le mérite de fournir une méthodologie détaillée pour les personnes souhaitant protéger leur e-réputation grâce au droit au déréférencement.