30/11/2018

Financement du logement social – loi « ELAN »

Le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, présentait le 4 avril 2018 en Conseil des ministres un projet de loi portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Loi ELAN). Ce texte, définitivement adopté le 16 octobre 2018 s’inscrit dans le cadre de la refonte du modèle économique des organismes de logement social marqué par la réduction du loyer de solidarité, du relèvement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de la taxation des plus-values réalisées lors des cessions de logements sociaux.

Le renouveau de l’environnement financier et normatif apporté par cette loi soulève de nombreux points d’intérêts, parmi lesquels nous avons sélectionné les suivants :

a. comment les organismes – privés ou publics – de logements sociaux (OLS) vont être contraints de procéder à des opérations de rapprochement ?

b. les OLS bénéficieront-ils de nouveaux moyens, notamment via leurs filiales ?

c. quelles sont les conséquences du caractère public des offices publics de l’habitat (OPH) sur les opérations de rapprochement ?

d. comment la loi ELAN organise les transferts de capitaux entre les OLS qui se seront regroupés ?

 

1. La restructuration des bailleurs sociaux

Si la loi du 2 juillet 2003 avait pour but d’encourager les organismes à « faible patrimoine » à se regrouper spontanément en créant une société de coordination, l’effort de concentration des bailleurs sociaux n’a pas permis de modifier de manière significative le paysage du logement social qui demeure très morcelé et qui souffre de ressources en baisse.

Par le regroupement, l’Etat souhaite mutualiser les moyens et les compétences existants au sein des organismes d’HLM et des sociétés d’économie mixte (SEM) agréées. A l’heure de la loi ELAN, le regroupement devient presque obligatoire : les organismes d’HLM ou SEM agréées ne gérant pas 12.000 logements et n’ayant pas souscrit au capital d’une société de coordination (sorte de « groupe inversé ») s’exposent à deux risques :

a. devoir vendre tout ou partie de leur patrimoine ou capital à un autre organisme d’HLM ou une SEM agréée ; et/ou

b. être dissous selon les modalités de l’article L. 423-1, aliéna 1 du Code de la construction et de l’habitation.

Dès lors, le paysage des acteurs du logement social va connaître une profonde restructuration ; les achats, fusions ou regroupements en vue d’atteindre le seuil de 12.000 logements sociaux constituant le seul salut possible.

Les regroupements pourront prendre deux formes :

a. regroupement de sociétés sous l’égide d’une société de coordination dont les sociétés d’HLM et SEM agréées seraient les actionnaires ; ou

b. groupe constitué d’un ensemble de sociétés comportant majoritairement des organismes mentionnés aux articles L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation et des SEM agréées, lorsque l’un d’entre eux ou une autre société contrôle directement ou indirectement les autres, que ce contrôle soit exercé seul au sens des I et II de l’article L. 233-3 du Code de commerce ou conjointement au sens du II du même article.

Le regroupement présente un intérêt indéniable, mais il faut bien mesurer les enjeux de cette adhésion à une société de coordination puisqu’elle ne doit pas être confondue avec un GIE.

Elle s’apparente davantage à une holding possédant les prérogatives qui lui sont traditionnellement attachées : contrôle de gestion, stratégie patrimoniale, politique d’achat, combinaison des comptes de ses membres, droit d’imposer aux membres les plus fragiles des décisions patrimoniales, en ce compris l’aliénation de leur capital social ou de leurs biens, en vue de restaurer leur situation financière.

L’entrée dans une société de coordination devra donc s’appuyer sur un projet de développement soigneusement négocié et mûri par les futurs associés mis également sur un pacte sociétaire visant à organiser le vote, les conditions de retrait, les prérogatives financières, etc. Afin d’orienter cette gouvernance qui reste à définir, des clauses types seront publiées par décret.

Il est toutefois précisé qu’il est impossible d’appartenir simultanément à plusieurs groupes d’organismes de logement social. Egalement, cette obligation de regroupement ne s’applique pas :

a. aux organismes dont l’activité principale au cours des trois dernières années est une activité d’accession sociale à la propriété et qui n’ont pas construit ou acquis plus de 600 logements locatifs sociaux au cours des six dernières années ; et

b. aux organismes ayant leur siège dans un département dans lequel aucun autre organisme ou aucune SEM n’appartenant pas à un groupe, ni aucun groupe, n’a son siège.

 

2. L’extension du financement par filiales

En vue d’attribuer de nouvelles compétences aux organismes d’HLM, le projet de loi ELAN étend les possibilités de création de filiales pour répondre à de nouveaux besoins.

En l’état actuel du droit, les organismes d’HLM peuvent créer des filiales qui ont toutefois pour seul objet de construire, d’acquérir ou de gérer des logements locatifs intermédiaires (article L. 421-1 du Code de la construction et de l’habitation).

Pour mémoire, l’action des filiales est encadrée par les conditions suivantes :

a. les logements locatifs intermédiaires concernés doivent remplir trois conditions : (i) faire l’objet d’une aide accordée par l’Etat, une collectivité locale ou l’un de ses groupements, (ii) avoir vocation à être occupés à titre de résidence principale par des personnes physiques sous des conditions de ressources et (iii) faire l’objet d’un loyer plafonné ;

b. elles peuvent également acquérir des locaux à usage commercial, professionnel ou d’habitation dans le but de les transformer en logements locatifs intermédiaires remplissant les trois critères précités, et gérer des locaux à usage commercial ou professionnel si ces locaux demeurent annexes et accessoires à leurs logements locatifs intermédiaires ; et

c. elles ne peuvent en revanche pas créer elles-mêmes d’autres filiales, et le ministre chargé du logement peut s’opposer à leur création si elles portent atteinte à la capacité de l’organisme-mère de remplir ses missions en matière de logement social.

Sans assouplir le régime des filiales des organismes d’HLM, le projet de loi ELAN permet aux bailleurs sociaux de recourir à la création de filiale pour de nouveaux objets tels que :

a. réaliser des études d’ingénierie urbaine pour le compte des collectivités territoriales ou de leurs groupements ;

b. fournir des services d’animation sociale, de veille, d’aide aux démarches et d’accompagnement en faveur notamment des personnes âgées ou en situation de handicap locataires ou occupants d’un logement social, répondant à des besoins non satisfaits ou partiellement satisfaits.

 

3. Le rapprochement des OLS : le cas particulier des OPH

Les OPH sont des acteurs incontournables du logement social possédant la spécificité d’être un EPIC, c’est-à-dire un établissement public industriel et commercial. Cette coloration « publique » induit des spécificités et notamment celle que les OPH ne disposent d’aucun capital social.

Au vu de la loi ELAN et de la quasi-obligation qu’ont les Organismes de Logement Social (OLS) de se rapprocher, les modalités juridiques et financières devront être un point d’intérêt essentiel à la réussite de ces opérations.

Ces rapprochements peuvent emprunter l’une ou plusieurs des méthodes suivantes :

a. La dissolution d’un OPH – la dissolution d’un OPH est encadrée par les pouvoirs publics en ce sens que la demande doit être présentée par la collectivité territoriale ou l’EPCI de rattachement de l’OPH aux ministères chargés du logement et ainsi que des collectivités territoriales. Bien que le conseil d’administration de l’OPH fixe les modalités ainsi que les conséquences de sa dissolution (i.e. désignation des bénéficiaires de son patrimoine et du potentiel excédent de liquidation), cette compétence revient en réalité aux ministres. En effet, ce sont ces derniers qui prennent le décret prononçant à la fois la dissolution mais également ses effets.

Preuve en est que l’opération de dissolution est entièrement gérée par la personne publique, le tribunal administratif de Montreuil décidait en 2017, au sujet d’une vente massive du patrimoine d’un OPH à une SEM suivie de sa dissolution-liquidation, que « le transfert global du patrimoine d’un office public de l’habitat doit faire l’objet d’une autorisation ab initio du ministre sur la globalité de l’opération, dans la mesure où ce transfert constitue une modalité de la dissolution de l’organisme ».

b. La fusion – les OPH peuvent fusionner mais dans des conditions particulières dérogeant au droit commun dans la mesure où elle ne donnera pas lieu à un échange d’actions entre OPH ; ceux-ci étant dépourvus de capital social.

Après demande de la collectivité territoriale ou de l’EPCI de rattachement, le préfet du département où l’office au profit duquel la fusion est demandée aura son siège dispose d’un délai d’un délai de trois mois pour prendre un arrêté autorisant la fusion. A défaut, celle-ci est tacitement refusée.

La loi ELAN autorise les OPH à transmettre leur patrimoine aux sociétés d’HLM et/ou SEM de logement social. La rémunération de ces transmissions de patrimoine consistera en l’attribution d’actions de la société bénéficiaire au profit de l’EPCI de rattachement de l’office ; particularité assez originale pour être soulevée.

c. L’apport partiel d’actifs – à s’en tenir au droit commun des apports partiels d’actif – opération par laquelle une entité apporte à un bénéficiaire une partie de ses éléments d’actifs et reçoit en contrepartie des titres de ce dernier – les OPH ne pourraient être partie à ces opérations.

D’une part, ils ne peuvent pas être bénéficiaires d’un APA dans la mesure où, dépourvu de capital social, elles n’ont aucun titre à remettre en rémunération des actifs reçus. D’autre part, ils ne peuvent être apporteurs dans la mesure où étant exclus du champ d’application du code de commerce régissant les apports partiels d’actifs.

La seule possibilité pour un OPH d’être partie à une opération similaire consisterait, par exemple, à réaliser un apport en nature (comme son parc locatif) à un office d’HLM ou une SEM de construction et de gestion de logements sociaux. Les actions alors reçues seront inscrites à l’actif du bilan de l’OPH.

d. La transmission massive de patrimoine – La pratique a montré que la dissolution d’un OPH – prononcée par le ministre – est généralement précédée par la vente intégrale de leur patrimoine, autorisée par le seul préfet. Cette manière de procéder contrevient aux dispositions du code de construction et de l’habitation, celui-ci disposant qu’il appartient au ministre de fixer par décret « les modalités de transfert de leur patrimoine et les conditions budgétaires et comptables de la dissolution». En effet, en cédant l’intégralité de son patrimoine immobilier avant sa dissolution, l’OPH organise en réalité elle-même les conditions de sa dissolution. Le ministre ne dispose alors que d’une marge de manœuvre restreinte consistant au fléchage du prix de vente des immeubles. D’autre part, laisser entre les seules mains du préfet la détermination des modalités de la cession de l’intégralité du patrimoine constitue un détournement de procédure aux conséquences incertaines (le sort du personnel n’est pas résolu, sa décision n’a pas force exécutoire et ne dispose pas de l’opposabilité dont bénéficie le décret ministériel, etc.)

C’est la raison pour laquelle la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 prévoit que le préfet doit désormais saisir le ministre d’un dossier de dissolution si l’OPH projette une vente immobilière dans un cadre liquidatif et que cette cession porte sur au moins 30% du parc locatif. Cette loi instaure en réalité une passerelle entre la procédure de vente (compétence du préfet) et la procédure de dissolution (compétence du ministre).

 

La loi ELAN modifie cette nouvelle règle contenue à l’article L. 443-7 du Code de la construction et de l’habitation en la déplaçant à l’article L. 443-11 du même code et modifie légèrement la règle qui serait la suivante :

a. si la cession excède 30% du parc locatif et s’effectue dans une optique de dissolution, le ministre sera compétent ; et

b. si la cession excède 30% du parc locatif et s’effectue dans une optique de maintien de l’activité, le préfet sera compétent.

Le respect de cette procédure est fondamentale car étant d’ordre public : tout acte pris en violation encourt la nullité et ne serait utilement être couvert par un acte administratif.

En résumé, et sur le fondement de la décision du TA de Montreuil, le ministre aura compétence ab initio pour se prononcer sur les fusions et opérations de rapprochement entre un OPH et un organisme privé de logement social dès lors qu’ils s’inscrivent dans une logique pré liquidative. Au contraire, les fusions entre OPH, dans la mesure où elle « entraîne la dissolution sans liquidation de l’un (ou de plusieurs) d’entre eux et la transmission universelle de son (ou leur) patrimoine à l’office bénéficiaire » ne nécessitera pas une telle autorisation mais uniquement celle du préfet.

 

4. La circulation de capitaux entre les organismes d’HLM

Si en l’état actuel du droit il existe d’ores et déjà des possibilités de prêts et d’avances entre les organismes d’HLM, la loi ELAN étend ces possibilités afin d’améliorer la circulation des capitaux entre ces organismes.

Ces extensions sont toutefois limitées puisque seules les entreprises faisant partie d’un groupe d’organisme de logement social (OLS) pourront en bénéficier, c’est-à-dire :

a. En premier lieu, faisant partie d’un « ensemble de sociétés comportant majoritairement des organismes mentionnés aux articles L. 411-2 et L. 481-1 , lorsque l’un d’entre eux ou une autre société contrôle directement ou indirectement les autres, que ce contrôle soit exercé seul au sens du I ou du II ou conjointement au sens du III de l’article L. 233-3 du Code de commerce».

Il s’agit donc d’un groupe de sociétés au sens où on l’entend habituellement, à ceci près que ce groupe est essentiellement constitué d’organismes d’HLM et de sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux.

b. En second lieu, faisant partie d’un « ensemble constitué d’une société de coordination au sens de l’article L. 423-1-2 et des détenteurs de son capital».

Il s’agit en somme de considérer que la participation au capital d’une société de coordination, aussi minime soit-elle, unit l’ensemble des membres à la manière d’un groupe ; il n’est pas besoin que l’une des entités du groupe contrôle directement ou indirectement toutes les autres.

Il est précisé que le capital de la société de coordination ne peut être détenu que par des organismes qui exercent des activités de maîtrise d’ouvrage, des organismes d’HLM et de sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux.

 

Si la condition précédente est respectée, les actes ci-après pourront être réalisés sans porter atteinte au monopole bancaire :

a. Les organismes d’HLM et les SEM de construction et de gestion de logements sociaux membres d’un même groupe d’OLS (cf. supra) pourront accorder des avances en compte courant à des membres du groupe sans respecter la condition des 5% généralement imposée par le Code monétaire et financier.

Cela permettra aux entités ne disposant pas de capital social, comme notamment les OPH qui ont la nature d’EPIC – de bénéficier de ces avances en compte courant dès lors qu’ils feront partie d’un groupe.

b. Les organismes d’HLM et les SEM de construction et de gestion de logements sociaux membres d’un même groupe d’OLS peuvent accorder des prêts participatifs aux autres membres dudit groupe. Ce mode de financement est un intermédiaire entre le prêt à long terme et la prise de participation. L’absence de condition tenant aux participations au capital ou de contrôle permettrait aux OPH membre d’un groupe d’OLS d’en bénéficier.

c. Les opérations de trésorerie et notamment la centralisation de trésorerie sera autorisée entre OLS appartenant à un même groupe, y compris les OPH.

De manière plus générale, la loi ELAN autorise aux membres d’un même groupe d’OLS de réaliser entre eux toutes opérations de crédit. Les opérations précitées en font évidemment partie mais n’épuisent pas la catégorie.

 

La loi a été définitivement adoptée par le Sénat à cette date. Le 23 octobre 2018, le conseil constitutionnel a été saisi.

Art. 126 de la loi n° 2017-1837 du 30 déc. 2017 de finances pour 2018, JO 31 déc. 2017.

Art. 12 de la loi n° 2017-1837 du 30 déc. 2017 de finances pour 2018, JO 31 déc. 2017.

Art. 130 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, JO 31 déc. 2017.

Loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat.

Art. L. 423-1-1 du code de la construction et de l’habitation introduit par la loi n°20003-590 du 2 juillet 2003.

Art. 25 loi ELAN

Art. 25 loi ELAN.

Ibid.

Art. 88 et s. loi ELAN.

Art. 88 loi ELAN.

Art. L. 421-1 Code de la construction et de l’habitation.

Art. L. 421-1 et s. Code de la construction et de l’habitation

TA, Montreuil, 26 octobre 2017, n° 1604811.

Art. R. 421-1 du Code de la construction et de l’habitation.

Art. 97 loi ELAN

Ibid.

TA, Montreuil, 26 octobre 2017, n° 1604811.

Art. 81 et 84 loi ELAN.

Ibid.