Gilets jaunes : quelle validité pour les 70 dépôts de marques reçus par l’INPI ?
Depuis le lancement du mouvement en novembre 2018, l’INPI a reçu pas moins de 70 demandes d’enregistrements de marques composées des termes « gilet(s) jaune(s) » ou s’inspirant très largement du courant éponyme. Les déposants ont fait preuve d’une grande originalité en déclinant l’iconique « gilet jaune » avec « GIL ET JOHN », « GILET VERT » ou encore « JE SUIS GILET JAUNE ». Ces demandes de marques, qui pour le moment ont simplement été publiées, résisteront-elles à l’examen de validité de l’Office ? Rien n’est moins sûr à l’aune des trois règles classiques en droit des marques.
Règle n° 1 : La licéité de la marque
Conformément à l’article L.711-3 du Code de la propriété intellectuelle, un signe ne peut être adopté comme marque s’il apparaît contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
A notre sens, il est fort probable que l’INPI refuse l’ensemble de ces dépôts en raison de leur contrariété à l’ordre public, à l’instar des demandes de marques « JE SUIS CHARLIE » et « JE SUIS PARIS » qui avait été rejetées à la suite des évènements tragiques de 2015.
L’Office avait alors expliqué son choix au motif que ces marques étaient composées de termes qui ne sauraient être captés par un acteur économique du fait de leur utilisation et de leur perception par la collectivité au regard des évènements survenus en janvier et novembre 2015.
Compte tenu de leur large utilisation par le grand public depuis novembre 2018, il n’est donc pas exclu que l’Office refuse logiquement les marques constituées des termes « gilet(s) jaune(s) » ou inspirées du mouvement éponyme.
Règle n° 2 : La distinctivité de la marque
Le dépôt massif de marques inspirées du mouvement des « gilets jaunes » pose par ailleurs une autre question, relative à leur distinctivité intrinsèque. En effet, il ressort de l’article L.711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle qu’une marque doit permettre au consommateur de distinguer les produits et services d’une personne parmi ceux de ses concurrents.
En l’espèce, compte tenu de son utilisation généralisée par le grand public depuis novembre 2018, il n’est pas certain que les signes constitués des termes « gilet(s) jaune(s) » (avec ou sans d’autres termes usuels ou descriptifs tels que « mouvement », « 2018 », « liste » ou « force ») puissent être considérés comme étant distinctifs.
Règle n° 3 : La disponibilité de la marque
Enfin, et conformément à l’article L.711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, un signe ne peut être adopté à titre de marque s’il porte atteinte à des droits antérieurs et notamment à une marque antérieure enregistrée.
Or en l’espèce, plusieurs marques (dont « GILETS ROUGES » enregistrée en 1998 en classes 35 et 39, et plus notablement, de la marque « MON GILET JAUNE » enregistrée le 10 juillet 2008 en classes 9, 18, 22, 25 et 40) ont été enregistrées avant même le lancement du mouvement des gilets jaunes. Sous réserve du principe de spécialité, ces marques constituent autant d’antériorités potentielles pour les dépôts de marques « gilet(s) jaune(s) ».
Même si l’INPI ne vérifie pas la disponibilité du signe lors de l’examen à l’enregistrement, il n’en reste pas moins que les titulaires de droits antérieurs pourront toujours contester la validité des marques « gilet(s) jaune(s) » soit pendant la période d’opposition, soit ultérieurement, par le biais d’une action en nullité.
Ainsi, pour les raisons évoquées ci-dessus, la validité des demandes de marques « gilet(s) jaune(s) » demeure plus qu’incertaine. Cette étude nous rappelle combien il est primordial, avant tout dépôt, de s’interroger sur la validité intrinsèque du signe envisagé et de procéder, si nécessaire, à des recherches d’antériorités pour vérifier sa disponibilité. A cet égard, et pour paraphraser le célèbre slogan porté par Karl Lagerfeld en faveur du port du gilet jaune : « Le droit des marques, c’est moche, ça ne va avec rien, … mais ça peut vous éviter des dépôts de marques inutiles » !