12/05/2020

Incidences de la réforme de la procédure civile sur le contentieux de la propriété intellectuelle

Le Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 2020, a introduit des changements majeurs dans les règles de procédure civile parmi lesquels figure l’extension des pouvoirs du Juge de la mise en état, magistrat chargé de superviser le déroulement de la procédure devant le tribunal judiciaire.

L’étude des nouvelles compétences du Juge de la mise en état qui attestent d’un glissement de ses prérogatives vers le fond du litige, est l’occasion de faire un point sur l’impact de ces nouvelles dispositions sur le contentieux de la propriété intellectuelle.

La compétence du JME avant la réforme

Pour rappel, en application de l’article 771 (ancien) du Code de procédure civile, le juge de la mise en état était jusqu’ici seul compétent pour :

  • – Statuer sur les exceptions de procédure et sur les incidents mettant fin à l’instance ;
  • – Statuer sur les demandes de provision ;
  • – Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires et toute mesure d’instruction.

Parmi les moyens de défense que peut soulever le défendeur (défenses au fond, exceptions de procédure et fins de non-recevoir), le juge de la mise en état était donc compétent uniquement pour statuer sur les exceptions de procédure qui sont définies à l’article 73 du Code de procédure civile comme « tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ».

En revanche, le tribunal restait seul compétent pour statuer sur le fond et sur les fins de non-recevoir qui sont définies par l’article 122 du Code de procédure civile comme étant « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Alors qu’elles permettent de mettre fin à l’instance sans examen au fond, les fins de non-recevoir ne pouvaient donc être tranchées avant la fin de la procédure dans le cadre d’un incident devant le juge de la mise en état.

Les pouvoirs du JME issus de la réforme

C’est désormais chose faite puisque le nouvel article 789 du Code de procédure civile prévoit que le juge de la mise en état « est jusqu’à son dessaisissement, seul compétent à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour : […] 6° Statuer sur les fins de non-recevoir. […] »

Bien plus, il devient même compétent pour trancher une question de fond dès lors que la fin de non-recevoir nécessiterait qu’une telle question soit tranchée au préalable (étant précisé toutefois qu’une partie peut s’y opposer, et que dans ce cas, le juge de la mise en état renvoie l’affaire, sans clore l’instruction, devant la formation de jugement pour qu’elle statue à la fois sur la question de fond et la fin de non-recevoir).

A l’instar de celles statuant sur les exceptions de procédure, les ordonnances statuant sur une fin de non-recevoir sont susceptibles d’appel dans un délai de quinze jours à compter de leur signification.

Les conséquences sur le contentieux de la propriété intellectuelle

L’impact procédural du nouveau régime sur les litiges de propriété intellectuelle est loin d’être négligeable puisque le juge de la mise en état sera désormais seul compétent pour statuer notamment sur :

  • – Le défaut de qualité à agir et l’on sait que les contestations relatives à la titularité des droits interviennent dans la majorité des contentieux, qu’elles concernent l’absence de preuve de la qualité d’auteur ou d’inventeur, l’absence de cession des droits ou d’inscription d’une cession,
  • – La prescription d’une action en contrefaçon, en déchéance, en paiement de la rémunération supplémentaire des inventeurs salariés,
  • – Le défaut de mise en cause des coauteurs, question qui pourra conduire le juge de la mise en état à statuer préalablement sur la qualification de l’œuvre, question de fond.

En revanche, les contestations relatives à la validité des requêtes aux fins de saisie-contrefaçon, des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, ainsi que celles relatives à la validité des titres ou à l’originalité d’une œuvre, demeurent de la compétence du tribunal.

On assiste ainsi à un véritable éclatement du traitement des litiges entre le juge de la mise en état et le tribunal qui illustre parfaitement le sens de la réforme visant à rationaliser et accélérer les procédures en purgeant les moyens d’irrecevabilité préalablement à toute poursuite de l’instruction.

La lourdeur des contentieux de propriété intellectuelle est telle, en matière de brevet notamment, que l’on peut considérer cette innovation comme bénéfique aux parties et plus généralement au justiciable dont l’intérêt est que les moyens d’irrecevabilité soient tranchés rapidement pour éviter qu’une instruction longue et coûteuse se poursuive inutilement.