13/04/2021

Jurisprudence : les conditions d’obtention de l’agrément de transfert de déficits reportables à l’occasion d’une fusion doivent être interprétées strictement

CAA Paris, n°19PA01882, 9 juin 2020 « Catrybayart »

Lorsqu’une société disposant d’un déficit reportable supérieur à 200.000 euros est absorbée par une autre société à l’occasion d’une opération de fusion ou d’une transmission universelle de patrimoine, l’article 209 II-1 du Code Général des Impôts (« CGI ») prévoit la possibilité d’obtenir, moyennant le dépôt d’une demande d’agrément à l’administration fiscale préalablement à l’opération, le transfert du déficit de la société absorbée à la société absorbante.[1]

Cet agrément est accordé de droit si les conditions suivantes sont respectées :

  1. L’opération doit être placée sous le régime de faveur des fusions de l’article 210 A du CGI ;
  2. L’opération est justifiée du point de vue économique et obéit à des motivations principales autres que fiscales ;
  3. L’activité à l’origine des déficits dont le transfert est demandé n’a pas fait l’objet de changements significatifs pendant la période au titre de laquelle les déficits ont été constatés ;
  4. L’activité est poursuivie par la société absorbante pendant un délai minimal de trois ans, sans faire l’objet, pendant cette période, de changements significatifs ;
  5. Les déficits ne proviennent ni d’une activité de holding, ni de la gestion d’actifs immobiliers.

Dans l’affaire « Catrybayart », la Cour Administrative de Paris a eu à se prononcer sur le refus d’agrément opposé par l’administration fiscale, qui avait considéré que la troisième condition tenant à l’absence de changement significatif de l’activité ayant généré les déficits n’avait pas été respectée.

Pour contester ce refus, la société requérante faisait valoir que les opérations de fusion avaient une justification économique et non fiscale, que les baisses drastiques du chiffre d’affaires (-60 à 66%), des effectifs (- 75%) et du nombre d’établissement entre 2011 et 2014 ne résultaient pas de la volonté du groupe mais de difficultés conjoncturelles, qu’une partie des baisses d’effectifs des sociétés absorbées pouvait être expliquées par des restructurations internes au groupe, que ces événements n’ont pas été constatés au titre des exercices durant lesquels les déficits ont été constatés mais postérieurement, et enfin que les opérations de fusion ont permis de poursuivre les activités des sociétés à l’origine des déficits, en donnant lieu notamment à des importants investissements la reprise de salariés des sociétés absorbées, à la conservation des fournisseurs, au renouvellement et au développement des stocks.

Dans un arrêt du 9 juin 2020, la Cour Administrative d’Appel de Paris a considéré les conditions d’octroi de l’agrément posées par l’article 209 II-2 du CGI n’étaient pas remplies, et a par conséquent donné raison à l’administration fiscale.

La Cour a notamment considéré que la condition tenant à l’absence de changement significatif de l’activité à l’origine des déficits n’était pas remplie au cas d’espèce et a à cette occasion levé une ambiguïté rédactionnelle, en précisant que la période durant laquelle l’existence d’un tel changement doit être apprécié, désignée dans le texte comme « la période au titre de laquelle les déficits ont été constatés », devait être comprise comme englobant non pas seulement les exercices durant lesquels les déficits ont été générés, mais aussi les exercices durant lesquels ils ont été maintenus en report.

Elle a par ailleurs rejeté les autres arguments soulevés, en jugeant notamment que l’absence de motivations fiscales ne dispensait pas les sociétés concernées du respect des autres conditions d’application, et en affirmant que ces conditions doivent être appréciées société par société, et non globalement à l’échelle d’un groupe ou d’un ensemble de sociétés absorbées.

La décision rendue par la Cour Administrative de Paris peut sembler sévère au regard des arguments avancés par la société requérante, qui ne sont globalement pas dépourvus de sens au plan économique. Car il est vrai qu’en définitive la société absorbante a bien repris et poursuivi les activités à l’origine des déficits dont le transfert était demandé, qui ont été significativement impactées par des difficultés conjoncturelles mais qui n’ont pas été transformées dans leur objet. De même, il peut être déploré qu’une telle interprétation s’oppose à un transfert de déficits à une société absorbante ayant repris et poursuivi une activité lorsque des sociétés de son groupe ont précédemment, dans l’intérêt même du maintien et de la pérennité de cette activité, procédé collectivement à sa restructuration.

Mais cette décision n’en demeure pas moins fondée au plan juridique. Rappelons en effet que l’article 209 II-2 du CGI est un régime de faveur dérogeant au droit commun, dont l’application conduirait à une perte des déficits. Ses conditions d’application doivent par conséquent faire l’objet d’une interprétation stricte.

En conclusion, le principal enseignement à tirer de cet arrêt, contre lequel aucun pourvoi n’a été formé à notre connaissance, est que les conditions d’application de l’article 209 II-2 du CGI, toutes imparfaites qu’elles soient, doivent être appréciées de manière restrictive et objective : le transfert de déficits à une société absorbante n’est pas seulement conditionné à la reprise par la société absorbante de l’activité qui en est à l’origine, ni même à l’absence de transformations volontaires de l’activité par les sociétés absorbée et absorbante, il convient encore que ladite activité n’ait pas subi de difficultés majeures avant l’opération et, surtout, qu’elle ait été conservée intacte au sein de la société absorbée.

Mais si une application objective de ces conditions était aisée au cas d’espèce compte tenu des variations significatives des chiffres d’affaires, effectifs et moyens d’exploitation des sociétés absorbées, cela n’est néanmoins pas toujours le cas lorsque les variations et modifications subies par les activités précédemment à leur transfert sont moins marquées. Nos équipes restent quoiqu’il arrive à votre disposition pour analyser chaque opération au cas par cas.

[1] Le transfert d’un déficit reportable d’un montant inférieur à 200.000 euros est en revanche dispensé d’agrément (article 209 II-2 du CGI).