14/06/2019

La définition extensive du contrôle pour l’application de l’amendement Charasse

CE, 15 mars 2019, n°412155, SAS Mi développement 2

Dans une décision rendue en date du 15 mars 2019, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur le champ d’application du dispositif de réintégration des charges financières liées à l’achat d’une société en vue de son intégration fiscale, communément appelé « amendement Charasse ».

Ce dispositif trouve à s’appliquer lorsqu’une société membre d’un groupe d’intégration fiscale a acheté, à un actionnaire extérieur qui contrôle le groupe (ou auprès d’une société que cet actionnaire contrôle au sens de l’article L 233-3 du Code de commerce), les titres d’une société qui est ou devient membre du même groupe. La société mère doit alors rapporter au résultat d’ensemble les charges financières présumées liées à cet achat qui sont évaluées forfaitairement (la réintégration est égale au rapport du prix d’acquisition des titres sur le montant moyen des dettes du groupe au cours de l’exercice).

La décision du Conseil d’Etat précise les contours de la notion de contrôle conditionnant l’application de ce dispositif, notamment lorsque ce contrôle est conjoint, i.e. exercé par le biais d’une action de concert.

Au cas particulier, la SAS Trécobat était détenue en quasi-totalité par son fondateur, directement à hauteur de 59% et indirectement, par le biais d’une EURL dont l’associé fondateur était l’associé unique, à hauteur de 40%.

En 2007, une holding de reprise, la société SAS Mi Développement, a été créée dans l’objectif d’acquérir les titres de la société SAS Trécobat. Son capital était détenu au moment du rachat à hauteur de 47,6% par deux fonds communs de placement, de 45,2% par le fondateur de la société cible et de 7,1% par quatre de ses cadres dirigeants.

Peu de temps après, la SAS Mi Développement a opté pour le régime de l’intégration fiscale et a formé un groupe intégré avec la SAS Trécobat.

La SAS Mi Développement ayant fait l’objet d’une vérification de comptabilité, les autorités fiscales ont appliqué le mécanisme de l’amendement Charasse et ont donc procédé à la réintégration au résultat d’ensemble du groupe des exercices clos en 2008 et 2009 d’une fraction des charges financières réputées relatives à l’acquisition de la SAS Trébocat.

La SAS Mi Développement 2, venant aux droits de la société Mi Développement, a contesté le bien-fondé de cette réintégration puisque selon elle, l’actionnaire de la société cédée n’exerçait pas effectivement le contrôle de la société cessionnaire, étant minoritaire sans être titulaire d’un contrôle conjoint. Le Tribunal administratif de Rennes ainsi que la Cour administrative d’appel de Rennes ont rejeté ses prétentions.

Le Conseil d’Etat, confirmant sa décision du 1er février 2018, a jugé que l’existence d’un contrôle sur le cessionnaire s’apprécie par référence à l’article L. 233-3 du Code de commerce qui prévoit que le contrôle peut résulter soit d’une identité entre le(s) actionnaire(s) de la société cédée et le(s) actionnaire(s) exerçant le contrôle de la société cessionnaire, soit d’un contrôle conjoint.

Le contrôle conjoint implique la réunion de deux éléments : l’existence d’une action de concert et la détermination en fait des décisions prises en assemblée générale par les personnes agissant de concert. Au cas particulier, seule l’action de concert était contestée par la société requérante.

Le Conseil d’Etat a estimé que les trois éléments permettant de caractériser une action de concert, en application des dispositions de l’article L. 233-10 du Code de commerce, à savoir (i) l’existence d’un accord contraignant d’actionnaires, (ii) la coordination dans l’acquisition ou la cession ou l’exercice des droits de vote de la société cible (iii) et la mise en œuvre d’une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société, étaient réunies en l’espèce.

En effet, le Conseil d’Etat a jugé que la Cour avait correctement caractérisé l’action de concert en analysant les clauses du pactes d’actionnaires de la société cessionnaire, en relevant que ce pacte prévoyait des interdictions temporaires de cession et qu’il traduisait la volonté des parties de conduire une politique commune à l’ensemble des trois blocs d’actionnaires. Le Conseil d’Etat relève également l’analyse conduite par la Cour administrative d’appel des conditions de majorité prévues dans les statuts qui conduisaient à l’accord des associés pour la prise de décision en assemblée générale.

Cet arrêt est également l’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser que la notion d’action de concert peut être appréciée à la date d’achat de la société cible et que, par conséquent, est sans effet le fait que la politique commune ne soit pas effectivement suivie par le cessionnaire a posteriori.

Enfin, le Conseil d’Etat ne voit pas d’obstacle à ce que l’action de concert fût exercée par l’ensemble des actionnaires au risque de se confondre avec l’affectio societatis.

Cette solution méritera d’être précisée et reconfirmée tant elle parait interpréter de façon surprenante et extensive la notion d’action de concert.

En appliquant le dispositif de l’amendement Charasse à une opération de LBO où le cédant devient actionnaire minoritaire de la holding de reprise, cette décision du Conseil d’Etat invite à la prudence lors de la rédaction des statuts et des pactes d’actionnaires.

En effet, la caractérisation de l’action de concert s’est faite en présence d’un pacte d’associés stipulant des clauses relativement classiques et usuelles (déclarations générales sur la conduite d’une politique commune, tag along, drag along, règles de majorités qualifiées pour certaines décisions, etc.), déclenchant ainsi le dispositif de l’amendement Charasse dont les conséquences sont tant redoutées.