22/01/2019

Taxe sur la valeur ajoutée : le droit à déduction de la TVA ne peut être refusé au seul motif de l’inexistence de la facture correspondante

CJUE 21-11-2018 aff. 664/16, Lucreţiu Hadrian Vădan

L’article 271, II-1-a et 2 du CGI dispose que la TVA dont le redevable peut opérer la déduction est celle qui figure sur les factures. Cet article transpose l’article 178, a de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (dite « directive TVA »).

En vertu de ce texte, le droit à déduction est ouvert si et seulement si le redevable est en possession de la facture correspondante au moment où il opère la déduction. Cette condition formelle s’ajoute aux conditions de fond du droit à déduction.

A rebours de ce texte, de la jurisprudence et de la doctrine administrative, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de juger que cette condition formelle n’était pas indispensable, dès lors que le contribuable est en mesure de prouver par un autre moyen que les conditions de fond sont satisfaites.

Cette position du juge européen a été prise en réponse à deux questions préjudicielles posées par une juridiction roumaine, qui étaient les suivantes :

1) La directive TVA ainsi que les principes de proportionnalité et de neutralité peuvent–ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent à un assujetti qui remplit les conditions de fond pour déduire la TVA de bénéficier de son droit à déduction, lorsque ledit assujetti n’est pas en mesure d’apporter la preuve des sommes payées en amont pour des livraisons de biens et des prestations de services en présentant des factures fiscales ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, la directive TVA ainsi que les principes de proportionnalité et de neutralité peuvent-ils être interprétés en ce sens qu’une modalité d’estimation indirecte (par expertise judiciaire) effectuée par un expert indépendant sur le fondement de la quantité de travaux/main-d’œuvre résultant de l’expertise relative aux bâtiments peut constituer une mesure recevable et appropriée pour déterminer l’étendue du droit à déduction, lorsque les livraisons de biens (matériaux de construction) et les prestations de services (main-d’œuvre nécessaire pour construire les bâtiments) proviennent de personnes assujetties à la TVA ?

La CJUE répond par l’affirmative à la première question et par la négative à la seconde, en jugeant que :

« la directive TVA (…) ainsi que les principes de neutralité de la TVA et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens que (…) un assujetti qui n’est pas en mesure de rapporter la preuve du montant de la TVA qu’il a payée en amont, par la production de factures ou de tout autre document, ne peut bénéficier d’un droit à déduction de la TVA sur la seule base d’une estimation résultant d’une expertise ordonnée par une juridiction nationale. »

Dans ces motifs, la CJUE précise que :

« L’application stricte de l’exigence formelle de produire des factures se heurterait aux principes de neutralité et de proportionnalité, en ce qu’elle aurait pour effet d’empêcher de manière disproportionnée l’assujetti de bénéficier de la neutralité fiscale afférente à ses opérations.

Néanmoins, il incombe à l’assujetti qui demande la déduction de la TVA d’établir qu’il répond aux conditions prévues pour en bénéficier (…).

Ainsi, l’assujetti est tenu de fournir des preuves objectives que des biens et des services lui ont effectivement été fournis en amont par des assujettis, pour les besoins de ses propres opérations soumises à la TVA, et à l’égard desquels il s’est effectivement acquitté de la TVA. »

Si la CJUE avait déjà admis par le passé que le droit à déduction ne pouvait être refusé au seul motif d’une omission ou inexactitude de mentions sur une facture (CJUE 15-9-2016 aff. 516/14 et 518/14, Barlis 06 et Senatex), c’est la première fois qu’elle juge que l’absence de production de la facture d’achat elle-même n’entraîne pas automatiquement le refus du droit à déduction.