16/10/2018

Procédure d’abus de droit : schéma visant à contourner les règles de sous-capitalisation

Par un avis du 14 juin 2018, le comité de l’abus de droit fiscal s’est prononcé sur la mise en œuvre de la procédure d’abus de droit pour fraude à la loi prévue à l’article L. 64 du Livre de procédure fiscale (LPF) dans le cas d’un schéma destiné, selon les autorités fiscales, à échapper aux règles de sous-capitalisation françaises prévues à l’article 212, II-1 du Code général des impôts (CGI). Cette affaire aux faits complexes peut être résumée comme suit.

En 2008, la société B a acquis par financement bancaire l’intégralité du capital de la société E, qui détenait elle-même plusieurs filiales opérationnelles, dont la société F. La société B s’est constituée société tête d’un groupe fiscalement intégré, au sens de l’article 223 A du CGI.

Au cours du mois de janvier 2011, le groupe a procédé à un reclassement de titres interne : la société F a ainsi acquis trois sociétés auprès de sa société mère E, pour un montant global d’environ 25,6 millions d’euros, financé par un crédit-vendeur (la société E détenant ainsi une créance sur sa filiale F devenue sous holding, pour le même montant). Le 31 janvier 2011, la société F a procédé à la distribution exceptionnelle de ses réserves pour un montant de 21,5 millions d’euros, par voie d’inscription en compte courant à sa société mère E. Le mois suivant, la société E a versé un acompte sur dividende de 43,9 millions d’euros à sa société mère B, par voie d’inscription en compte courant de 21,5 millions d’euros et de transfert de la créance détenue sur sa filiale à hauteur de 22,4 millions d’euros.

Par la suite, la société B a souscrit à une augmentation du capital de la société E, pour un montant de 43,9 millions d’euros, libérée par l’extinction de la dette de la société E inscrite en compte courant de 21,5 millions d’euros et la rétrocession de la créance sur la filiale F, de 22,4 millions d’euros. Le même jour, la société E a augmenté le capital de sa filiale F à hauteur de 47,1 millions d’euros, libérés par l’extinction de la dette de la société F inscrite en compte courant pour 21,5 millions d’euros (issue de la distribution exceptionnelle) et l’extinction de la créance de 25,6 millions d’euros détenue sur la filiale F (i.e., pour la cession des titres des trois filiales à la société F).

L’administration a mis en œuvre la procédure prévue à l’article L. 64 du LPF en estimant que les opérations successives, effectuées sans mouvement de trésorerie et en franchise d’impôt, n’avaient eu d’autre but pour la société B que de faire échec à l’application des dispositions de l’article 212, II-1 du CGI en augmentant « artificiellement » les capitaux propres des sociétés du groupe, en particulier de la société B.

Pour rappel, les intérêts qu’une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés supporte au titre des sommes laissées à sa disposition, constituent en principe des charges financières déductibles de son résultat.

Cependant, le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation prévu par l’article 212, II-1 CGI limite la déduction des intérêts dus à des sociétés liées lorsque trois critères cumulatifs caractérisant une sous-capitalisation sont remplis (la fraction la plus élevée des trois limites étant rapportée au résultat de l’exercice de la société) :

(i) les avances consenties par des entreprises liées excèdent une fois et demie le montant des capitaux propres de la société (ratio d’endettement) ;

(ii) les intérêts servis à des entreprises liées excèdent 25% de son résultat courant avant impôts (ratio de couverture d’intérêts) ;

(iii) le montant des intérêts versés à des sociétés liées excède celui des intérêts reçus de ces mêmes sociétés (ratio d’intérêts servis par des entreprises liées).

Au cas particulier, le Comité a estimé que la cession de titres intragroupe et les distributions de dividendes successives immédiatement suivies d’augmentation de capital des sociétés distributrices sans apport de liquidité (i) présentaient un caractère exceptionnel (ii) ont été réalisées sans flux financier et (iii) en franchise d’impôt du fait de l’application du régime des sociétés mères et filiales et du régime de l’intégration fiscale, et que ces opérations n’ont eu pour seul objet que d’augmenter considérablement les capitaux propres des sociétés concernées.

En outre, le Comité a relevé que lors des exercices précédents, clos en 2010 et 2009, la société B avait été limitée dans la déduction des intérêts versés à des entreprises liées par l’article 212 du CGI, qu’il n’a pas été justifié d’un motif autre que fiscal ayant conduit à réaliser ces opérations, d’autant que la répartition du capital n’a été modifiée ni dans la filiale, ni dans la sous-filiale, et que les distributions de la société E n’avaient été décidées qu’en fonction de l’augmentation de capital d’un même montant, prévue par la société B.

Par conséquent, le Comité a considéré que les opérations n’avaient d’autre but que d’échapper au dispositif de lutte contre la sous-capitalisation et, ainsi, a considéré que l’administration était bien fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal de l’article L. 64 du LPF.

Séance du 14 juin 2018 : avis rendus par le comité de l’abus de droit fiscal commentés par l’administration (CADF/AC n° 4/2018) ; Affaire n° 2017-39 concernant la SAS A