06/04/2018

Précisions jurisprudentielles sur la déduction des charges financières

Preuve que l’intérêt est conforme aux pratiques du marché

Dans un jugement du 30 janvier 2018, le tribunal administratif de Paris a appliqué une position particulièrement stricte en matière de preuve du taux d’intérêt applicable à un prêt entre associés (TA Paris, 30 janvier 2018, SAS Studialis, n°1707553).

Les faits de l’espèce sont simples, en janvier 2008, la société mère d’un groupe, a émis des emprunts obligataires, dont une partie a été souscrite par ses associés minoritaires.

L’article 212 du Code Général des Impôts (CGI) prévoit que « Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement sont déductibles dans la limite de ceux calculés d’après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 du même article 39 ou, s’ils sont supérieurs, d’après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ».

Le taux limite de l’article 39 du CGI correspond à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans.

Dans l’hypothèse où le taux d’intérêt retenu est supérieur, il appartient à la société de prouver que la société emprunteuse aurait pu obtenir ce taux de la part d’établissements ou d’organismes financiers indépendants.

Le taux d’intérêts retenu par les sociétés était de 10 %, l’administration a contesté ce taux et réintégrée la différence au résultat imposable de la société versante pour les exercices 2011 à 2014 (à titre indicatif, le taux maximum déductible était de 3,99% pour l’exercice 2011).

La société versante conteste cette réintégration et apporte au soutien de son pourvoi :

  • une offre de prêt émise début 2008 par la banque Landsbanski correspondant aux caractéristiques des obligations émises proposant l’émission d’obligations « mezzanine » pour un taux de 12 % ;
  • une attestation du 27 janvier 2015 de la Bank of Ireland confirmant que la société l’a sollicitée à chaque nouvelle émission d’obligation entre 2008 et 2012 et que la Bank of Ireland a confirmé à chaque fois que pour un financement équivalent aux obligations elle aurait escompté un taux d’intérêt variant entre Euribor + 10 % et Euribor + 12 % ;
  • l’étude de la société PWC qui précise que le profil de risque de la société s’est dégradé, ce qui exclut une baisse du taux applicable aux obligations ; que ladite étude, après avoir analysé les caractéristiques de la société, mentionne pour les années 2008 à 2011 des taux allant de 8,32 % à 11,68 % ;
  • que la société produit également une étude de la banque ING sur les taux appliqués sur les marchés européens entre 2008 et 2012 pour des financements « juniors » ainsi que pour des financements « PIK » semblables aux obligations et qu’il en résulte un taux systématiquement supérieur à 10 %.

Le tribunal administratif retient la position du service selon laquelle « la société n’apporte aucun document établissant de manière certaine le taux dont aurait bénéficié la société auprès d’un établissement de crédit ou organisme indépendant tel que, notamment, une offre de prêt effective et contemporaine des opérations, prenant en compte ses caractéristiques propres ».

Par ailleurs, le tribunal a rejeté l’argument de la société selon lequel cette preuve était impossible à rapporter.

Ce jugement est à rapprocher d’un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 30 mars 2017 (TA Montreuil, 30 mars 2017, société BSA, n°1506904) selon lequel la décomposition du taux d’intérêt supérieur en ses 3 composants (taux fixe, prime d’annulation et marge de crédit) et la preuve que ces composants correspondaient au taux du marché a permis à la société de déduire l’intégralité des intérêts versés.

Ces jugements, de deux tribunaux différents, relèvent de deux notions de preuves différentes (preuve économique ou matérielle) qui tendent donc à compliquer le régime de la preuve en matière d’intérêt financier et rappellent que les taux appliqués doivent être documentés. La position très stricte retenue par le tribunal administratif requiert donc que les sociétés négocient des offres de prêt avec des banques en sachant qu’elles ne concluront pas le contrat, ce qui revient à réclamer la fourniture d’une preuve souvent impossible à obtenir matériellement.

Exclusion des swaps de taux du mécanisme du rabot fiscal

Un jugement intéressant a été rendu par le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 18 janvier 2018, Etablissement public régional Epinorpa, n°1702561).

Le mécanisme du rabot fiscal prévoit que, lorsque les charges financières de la société dépassent 3 millions d’euros, 25% de ces charges doivent être réintégrés dans son résultat taxable (15% pour les exercices ouverts avant le 1er janvier 2014).

Pour l’application de ce mécanisme, les charges financières sont définies comme « le total des charges financières venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise, diminué du total des produits financiers venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition par l’entreprise » (article 212 bis du CGI).

Le contrat d’échange de taux d’intérêt appelé swap de taux se définit comme un contrat entre deux opérateurs qui s’accordent sur un taux d’intérêt emprunteur et un taux d’intérêt prêteur appliqué à un capital fictif (qui n’est donc pas remis) appelé montant notionnel. En pratique, seuls les montants nets d’intérêts (après compensation) sont dus au terme de la période. Ce mécanisme permet notamment de couvrir les risques de taux des emprunts.

L’affaire portée devant le tribunal administratif de Montreuil fait suite à une réclamation d’une société tête de groupe. En effet, selon son argumentaire suivi par le tribunal administratif « ces intérêts ne rémunèrent pas des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise mais sont calculés sur un montant notionnel ».

Dès lors, ces sommes ne sont pas concernées par le rabot fiscal et ne doivent pas faire l’objet d’une réintégration dans le résultat fiscal de la société versante. L’administration fiscale a néanmoins fait appel de cette décision et l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris sera à surveiller.

Le tribunal administratif de Montreuil avait également rendu une décision récente en matière de rabot fiscal (TA Montreuil, 2 /11/2017, n°1607835, Société Thai Union France Holding 2). Dans cette affaire, le tribunal administratif a jugé que les intérêts différés devaient être pris en compte pour le calcul du rabot fiscal.