Renforcement de l’arsenal répressif de Bercy pour une pénalisation du contentieux fiscal
Tandis que la loi de finances pour 2019 a introduit de nouvelles mesures anti-abus (notamment la procédure dite du « mini-abus de droit », cf. newsletter de janvier 2019), la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a considérablement renforcé le volet pénal de la répression des manquements fiscaux.
Avant l’adoption de cette loi, les poursuites pénales diligentées à l’encontre de contribuables étaient demeurées relativement rares et cantonnées à des montages frauduleux complexes à très fort enjeux ou bien à des situations de fraudes fiscales caricaturales ou particulièrement sensibles. La plupart des litiges fiscaux étaient ainsi examinés exclusivement dans le cadre des procédures de contrôle et de contentieux fiscaux avec, le cas échéant, application de majorations et d’amendes de nature fiscale, sans intervention du juge pénal.
Mais l’adoption récente de la loi de lutte contre la fraude constitue un tournant dans la politique de répression des délits fiscaux en affichant on ne peut plus clairement l’intention du législateur d’aller désormais vers une pénalisation plus systématique des affaires fiscales.
Les principales mesures traduisant cette volonté du législateur sont les suivantes :
La création d’un service de police fiscale autonome appelé « Service d’Enquêtes Judiciaires des Finances » (« SEJF »), directement rattaché au Ministère du budget. Il est composé d’environ 300 agents, dont 250 agents de l’ex-Service National de Douane Judiciaire (« SNDJ ») et 50 agents des services fiscaux sous l’autorité d’un magistrat, qui sont habilités à effectuer des enquêtes judiciaires avec la mise en œuvre de mesures telles que des mises sur écoute, filatures, perquisitions, auditions, gardes à vue, etc. afin de constater et rechercher des agissements susceptibles de constituer des délits fiscaux, en dehors et en amont du cadre de la procédure classique du contrôle fiscal.
La quasi-suppression du « verrou de Bercy » : Alors qu’auparavant le lancement de poursuites pénales en lien avec des infractions fiscales était à l’initiative exclusive de l’administration fiscale, cette dernière est désormais tenue d’informer systématiquement le parquet de tous les manquements fiscaux ayant, cumulativement, généré des rappels de droits d’au moins 100.000 euros et donné lieu à l’application de pénalités (i) de 40% (abus de droit ou non dépôt d’une déclaration après mise en demeure) si le contribuable concerné avait déjà fait l’objet, dans les six années civiles précédentes, de l’application d’une de ces pénalités ou d’une plainte de l’administration fiscale ou (ii) de 80% (abus de droit avec manœuvres frauduleuses, activités occultes, absence de certaines déclarations) ou (iii) de 100% (opposition à contrôle fiscal). Cette mesure, qui rendra le parquet décisionnaire pour le lancement ou non de poursuites pénales sur de très nombreuses affaires, devrait donc aboutir à l’initiation de poursuites pénales plus nombreuses à l’encontre des contribuables ayant commis des agissements susceptibles de constituer des délits fiscaux (fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale, escroquerie à la TVA, etc.).
Le durcissement des amendes pénales applicables en matière de fraude fiscale : Les amendes encourues en cas de condamnation pour fraude fiscale, qui pouvaient auparavant atteindre 500.000 euros ou 3.000.000 euros pour une personne physique selon qu’il s’agisse d’une fraude fiscale simple ou d’une fraude fiscale aggravée, et 2.500.000 euros ou 15.000.000 euros pour une personne morale, sont désormais déplafonnées et peuvent atteindre, pour une personne physique, le double du produit de l’infraction, et, pour une personne morale, le décuple du produit de l’infraction. Les peines d’emprisonnement prévues (5 à 7 ans) demeurent inchangées. De plus, les jugements de condamnation pour fraude fiscale seront désormais obligatoirement publiés au Journal Officiel et possiblement dans des journaux. De plus, un affichage pourra être ordonné sur des panneaux d’affichage réservés aux publications officielles et/ou sur le lieu du domicile ou du siège du contribuable.
L’instauration de nouvelles sanctions administratives : Outre le durcissement de ces sanctions pénales, rappelons également que de nouvelles sanctions administratives ont été instaurées, avec notamment l’instauration d’une sanction de type « name & shame», i.e. une sanction consistant à afficher, par voie de presse ou par tout autre moyen, certaines sanctions administratives appliquées à des personnes morales, par exemple en cas d’abus de droit, de manœuvres frauduleuses, etc. Il a également été instauré un dispositif visant à notifier des amendes à l’encontre des conseils n’ayant pas déclaré certains montages ou ayant joué un rôle direct dans la commission par le client d’un abus de droit ou d’un autre agissement passible d’une majoration de 80%.
Dans ce climat particulièrement anxiogène de durcissement et de pénalisation de la loi fiscale, il apparaît donc plus que jamais nécessaire d’être bien conseillé, et en particulier de soumettre à ses conseils les projets d’opérations juridiques ou patrimoniales en amont de leurs mises en œuvre afin d’identifier les structurations les plus sécurisées, d’être renseigné sur les éventuels risques et d’éviter ainsi de mauvaises surprises ultérieures.