30/11/2018

Théorie du prix d’acquisition

Conseil d’Etat, 8ème et 3ème chambres, 6 juin 2018 n°410641, Sté Uniper France Power

Dans une décision du 6 juin 2018, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’application de la théorie du prix d’acquisition dans le cadre de provisions constituées successivement chez des sociétés apporteuses et une société absorbée.

La théorie jurisprudentielle du prix d’acquisition s’applique essentiellement dans le cadre d’apports soumis au régime des scissions ou de fusions, dont la principale caractéristique est d’entrainer la transmission universelle du patrimoine de la société apporteuse ou absorbée au profit de la société bénéficiaire ou absorbante. Après la réalisation de l’opération, la société bénéficiaire ou absorbante est fréquemment amenée à supporter des charges qui se rapportent à la gestion de la société apporteuse ou absorbée, et c’est là que la théorie joue à plein sans que, bien souvent, l’on ne s’y attende.

La théorie jurisprudentielle du prix d’acquisition stipule que la société bénéficiaire d’un apport ou absorbante, ne peut déduire des charges nées chez la société apporteuse ou absorbée avant l’apport ou la fusion, puisque la transmission de l’actif net de la société apporteuse ou absorbée a été rémunérée par la remise de titres émis par la société bénéficiaire ou absorbante. Il en résulte que les charges et dettes nées chez la société apporteuse ou absorbée ont économiquement déjà été prises en compte dans le calcul de la rémunération des apports et ont ainsi déjà été déduites de la valeur d’acquisition de la société apporteuse ou absorbée, elles ne peuvent donc pas être admises en déduction des résultats de la société bénéficiaire ou absorbante.

Au cas particulier, deux sociétés A et B avaient apporté en 1995 à deux sociétés C et D leur activité électrique. Lors de l’apport, les sociétés apporteuses ont repris leurs provisions pour coûts de démantèlement, intégrées dans leurs résultats imposables. Des provisions d’un montant équivalent ont été corrélativement inscrites au passif des sociétés bénéficiaires des apports (les sociétés C et D), sans être déduites de leur résultat imposable.

En 2003, la société mère E a absorbé ses filiales C et D sous le régime de faveur prévu à l’article 210 A du CGI, et a inscrit à son passif les provisions concernées, constituées en 1995.

En 2005, la société E s’est conformée à la nouvelle réglementation comptable relative aux coûts de démantèlement et a inscrit ces coûts de 49.254.373 euros à l’actif de son bilan, en contrepartie de la constitution à son passif d’une nouvelle provision du même montant. La société E a parallèlement procédé à la reprise de l’ensemble des provisions antérieures couvrant ces coûts et a réintégré extracomptablement les seules provisions constituées depuis 1995. La société E a, par ailleurs, comme l’autorise la loi, reconstitué les amortissements cumulés sur cet actif pour un montant de 38.726.114 euros, qu’elle a déduits de son résultat fiscal de façon extracomptable.

L’administration s’est fondée sur la théorie du prix d’acquisition pour réintégrer dans son résultat fiscal la fraction des dotations aux amortissements qui correspondait aux coûts de démantèlement ayant fait l’objet des provisions apportées en 1995 par les sociétés A et B, soit 28.997.991 euros.

Le Conseil d’Etat se rallie à la position de l’administration fiscale et confirme la décision de la Cour d’appel, qui avait estimé que les provisions constituées par les sociétés A et B étaient incluses dans l’actif net apporté aux sociétés B et C dont elles minoraient la valeur d’acquisition.

Les couts de démantèlement couverts par les provisions initialement inscrites par les sociétés A et B n’étaient ainsi pas déductibles du résultat des sociétés C et D bénéficiaires des apports, ni de la société E qui les avait absorbées. La société E n’était ainsi pas fondée à déduire extracomptablement le montant de l’amortissement cumulé sur la quote-part des coûts ayant fait l’objet des provisions historiquement constituées en 1995 par les sociétés A et B.

Ainsi, le changement de méthode comptable relatif aux coûts de démantèlement ne permet pas de déroger à la théorie du prix d’acquisition, laquelle fait également obstacle à la déduction des amortissements du nouvel actif et se rapportant aux mêmes coûts que les provisions passées par les sociétés apporteuses.

Cet arrêt est l’occasion de rappeler la diligence dont doivent faire preuve les sociétés absorbantes ou bénéficiaires d’apports, lorsqu’elles sont amenées à supporter des charges qui relevaient de la gestion de la (les) société(s) apporteuse(s) ou absorbée(s).