26/03/2019

Un nouveau cas de présomption de l’intention du contribuable de réaliser un acte anormal de gestion

Dans un arrêt de plénière CE, plén. fisc., 21 déc. 2018, n° 402006, Sté Croë Suisse, le Conseil d’Etat a jugé que s’agissant de la cession d’un élément d’actif immobilisé, lorsque l’administration soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu’elle a retenue et que le contribuable n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l’acte de cession, sauf si le contribuable justifie que cet acte est normal.

En l’espèce, une société avait vendu son seul actif immobilier 6M€, alors que l’administration fiscale estimait que ce bien valait 46M€. Elle a alors redressé la société, pour le différentiel, sur le fondement de l’acte anormal de gestion au seul motif de l’existence de cette différence significative entre le prix de vente pratiqué par l’entreprise et la valeur vénale du bien telle qu’estimée par l’administration, que l’entreprise n’a pas réussi à contester efficacement.

 

Traditionnellement, lorsque l’Administration fiscale veut remettre en cause un acte de gestion passé par un contribuable, elle doit initialement apporter une double preuve :

– Une preuve objective, à savoir l’appauvrissement de l’entreprise ;

– Une preuve subjective, à savoir l’intention de l’entreprise d’agir contre son intérêt ; c’est cette preuve spécifique qui faisait défaut en l’espèce.

 

Concernant ce deuxième élément de preuve, qui est en pratique souvent difficile à apporter pour l’administration fiscale, la jurisprudence du Conseil d’Etat a posé des présomptions d’intention dans deux séries d’hypothèses :

– Lorsque l’entreprise accorde un avantage à un tiers avec lequel elle est en relation d’intérêts ; dans ce cas, il suffit à l’administration de démontrer l’existence de cet avantage consenti, l’intention de l’entreprise étant alors présumée ;

– Lorsque les actes passés par l’entreprise semblent si anormaux par nature que l’entreprise a nécessairement entendu les accomplir en ayant conscience qu’ils allaient à l’encontre de ses intérêts (ex : prêts sans intérêts, concession de licence de marque sans contrepartie financière).

 

Dans la présente espèce, le Conseil d’Etat a alors jugé qu’à ces cas classiques de présomptions devait s’ajouter une présomption d’intentionnalité lorsque :

1) L’acte de gestion est une cession d’un élément d’actif immobilisé ;

2) La cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale que l’administration a retenu sans que le contribuable soit en mesure de remettre en cause cette évaluation (la doctrine s’accorde pour penser que l’écart est significatif lorsqu’il est d’au moins 20%).

 

Cependant, selon le Conseil d’Etat, le contribuable peut toujours apporter la preuve de la normalité de cet acte en justifiant (i) que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, (ii) que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, ou (iii) qu’elle en a tiré une contrepartie.

Il conviendra donc pour les entreprises qui souhaitent céder un de leurs actifs immobilisés d’être vigilantes dans l’appréciation de la valeur vénale de l’actif cédé, ou en tout état de cause de se ménager la preuve, le cas échéant, de la normalité de cet acte conformément aux principes dégagés par le Conseil d’Etat.