Conventions commerciales et crise sanitaire : la CEPC publie une recommandation concernant les effets de la COVID-19
Le 10 juillet 2020, dernier jour de l’état d’urgence sanitaire[1], la Commission d’examen des pratiques commerciales (« CEPC ») a publié la recommandation n° 20-1 concernant les contrats prévus aux articles L.441-3 et L.441-4 du Code de commerce et les effets de la crise sanitaire de la Covid-19 dans la grande distribution à dominante alimentaire (la « Recommandation »).
Issue des travaux d’un groupe de travail ad hoc, la Recommandation vise à guider les professionnels concernés « dans les difficultés éventuelles d’application des contrats en cours du fait de la crise sanitaire et de ses suites ».
Bien que visant spécifiquement la grande distribution à dominante alimentaire, la portée de cette recommandation peut paraître plus large dès lors que :
- Toutes les relations fournisseurs distributeurs sont visées par les articles L. 441-3 et L. 441-4 du Code de commerce
- La distribution alimentaire n’a pas été le seul secteur affecté par la crise du COVID-19.
Après avoir rappelé la spécificité des conventions commerciales prévues par le Code de commerce, la CEPC revient sur l’application des mécanismes juridiques dits « classiques » en cas de difficulté d’exécution (I), puis formule ses recommandations concernant la gestion des difficultés éventuelles d’application des contrats en cours et le déroulement des relations commerciales notamment en cas de crise sanitaire, ou lors de ses suites (II).
I. Les mécanismes juridiques applicables en cas de difficulté d’exécution des obligations contractuelles et leur application en temps de crise sanitaire
Constatant que la crise sanitaire a pu « confronter les cocontractants à l’impossibilité ou à la difficulté d’exécution des conventions en cours qui les lient », la CEPC fait un état des lieux des mécanismes et fondements juridiques susceptibles de s’appliquer à ces situations.
La CEPC rappelle qu’en application de l’article 1104 du Code civil, la bonne foi joue un rôle clef dans la relation contractuelle, en temps de crise comme en sortie de crise.
La loyauté dans les relations commerciales doit conduire chaque partie à se comporter de bonne foi en toutes circonstances, et en particulier à informer son cocontractant des circonstances qui peuvent modifier ou suspendre l’exécution de ses obligations, sauf à engager sa responsabilité.
Les mécanismes juridiques applicables en cas de difficulté d’exécution, rappelés par la CEPC, sont :
La force majeure
Définie par l’article 1218 du Code civil comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, [qui] empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
L’article 1218 du Code civil n’est pas d’ordre public. Les parties à un contrat peuvent donc en aménager la définition ou y renoncer.
Il convient de relever que la « force majeure financière » n’est pas reconnue, la jurisprudence excluant traditionnellement la suspension d’une obligation de paiement pour cause de force majeure.
Aux termes de la Recommandation, la CEPC invite les opérateurs concernés à identifier, vérifier et analyser les contrats conclus au regard des points suivants :
- Les obligations contractuelles dont l’exécution s’avère réellement impossible ;
- Les clauses contractuelles définissant et organisant les conditions d’application de la force majeure ;
- La date de signature du contrat au regard de la connaissance de la crise sanitaire et de ses effets réels ou prévisibles.
La CEPC précise qu’il s’agit d’une évaluation « contrat par contrat » et « commande par commande » selon les circonstances, et notamment au regard des dates de signature du contrat initial, des contrats d’application et de passation de commandes, lesquels constituent un « facteur clé d’appréciation de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité ».
Les premières décisions rendues concernant la COVID-19 et/ou ses suites confirment cette appréciation casuistique, source d’une certaine incertitude jurisprudentielle.
L’imprévision
L’imprévision est définie par l’article 1195 du Code civil comme suit : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.»
L’imprévision est une cause modératrice de la force obligatoire du contrat qui permet de lutter contre les déséquilibres contractuels majeurs qui surviennent en cours d’exécution.
Les parties au contrat ont pu se référer à ce mécanisme, soit pour en revendiquer l’application, soit pour en modifier les conditions ou les effets, soit encore pour les écarter expressément.
La CEPC indique à cet égard qu’il est « important que le cocontractant confronté aux effets de la crise sanitaire puisse évaluer ses obligations contractuelles telles qu’elles ont pu être proposées, puis négociées, précisées, adaptées ou écartées par acceptation du risque associé à son exécution ».
L’exception d’inexécution
(Article 1219 du Code civil) : « une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».
Une partie peut ainsi refuser de s’exécuter, à ses risques et périls et sous le contrôle ultérieur du juge, quand bien même son obligation est exigible, dès lors que l’autre partie n’a pas exécuté sa propre obligation, sous réserve que cette inexécution soit suffisamment grave.
L’exception pour risque d’inexécution
(Article 1220 du Code civil) : « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle ».
Il convient toutefois de noter que si ces mécanismes juridiques notamment la force majeure et l’imprévision n’ont pas été mis en œuvre pendant la période d’urgence sanitaire, leur mise en œuvre pendant la sortie de crise pourrait être contestable.
II. Les recommandations quant aux effets de la crise sanitaire sur la relation commerciale et les contrats en cours
De manière générale, la Commission recommande aux Parties « d’entrer en voie de négociation bilatérale pour adapter autant que de besoin les accords de 2020 aux conditions nées de la crise de la Covid 19 et de ses suites ».
Le dialogue et la négociation entre fournisseurs et distributeurs constituent ainsi le principe directeur des recommandations formulées par la CEPC au terme de la Recommandation 20-1.
En pratique, il revient donc aux parties de se réunir et échanger, par écrit de préférence, pour faire valoir leurs demandes et observations.
En matière logistique
Aux termes de sa Recommandation n° 19-1 relative à un guide des bonnes pratiques en matière de pénalités logistiques, la CEPC a considéré que les crises sanitaires figurent au rang des circonstances susceptibles d’être exonératoires de l’applicabilité des pénalités logistiques.
Elle invite les opérateurs à procéder à une « analyse proportionnée et [à rechercher] avec discernement une solution amiable des dysfonctionnements liés à la crise sanitaire et des pénalités qui en découleraient ».
La CEPC constate à cet égard que « dans certains cas, les distributeurs ont suspendu de leur propre initiative l’application des pénalités dès le début du confinement, conscients du caractère particulier du mode de fonctionnement dégradé de la chaîne d’approvisionnement ».
Elle prône « un traitement pragmatique différencié » et encourage les partenaires commerciaux à :
- « Ne pas revenir sur la suspension des pénalités admise expressément depuis le début de la crise sanitaire et à constater leur annulation ;
- Mettre en place le plus rapidement possible des démarches de progrès spécifiques à la sortie de crise ;
- S’accorder sur un suivi individualisé des taux de service, en accompagnant le retour à une situation normale d’aménagements ;
- Assurer une transparence de l’information sur les éventuelles difficultés à honorer les commandes en mettant en place un mécanisme d’alerte dans un délai préalablement déterminé entre les partenaires commerciaux ».
En matière commerciale
Après avoir rappelé que les conventions commerciales « ne doivent pas faire l’objet de modifications unilatérales et automatiques », la CEPC précise que la prise en charge de « coûts supplémentaires […] qui n’ont pas été pris en compte lors de la négociation du prix convenu », par exemple pour l’équipement des salariés en moyens de protection, ou l’adaptation des lieux de production et de commercialisation, « ne peuvent être le seul motif qui puisse justifier une renégociation du contrat en cours, sauf dans le cas où l’exécution du contrat deviendrait excessivement onéreuse pour l’une seule des parties ».
Elle encourage le dialogue et l’information préalable du partenaire commercial sur les difficultés rencontrées en période de crise sanitaire, ainsi que « les initiatives et pratiques bilatérales d’adaptation juridique des conditions opérationnelles provisoires et exceptionnelles dans la mesure où elles permettent la reprise rapide du courant d’affaires ». Elle préconise ainsi que « les parties évaluent le cas échéant la relation commerciale et contractuelle au regard des impacts de la crise, et envisagent des modalités d’adaptation si cela reflète l’intérêt commun des parties ».
Ainsi, la CEPC considère que c’est l’ensemble du plan d’affaires que les Parties doivent réévaluer et notamment :
- La reprise de « cadences équitables de […] livraisons à l’égard de tous [les] clients », sous réserve du respect du droit de la concurrence ;
- Le retour à « la mise en place de l’intégralité de l’assortiment initial » ;
- L’application du « plan de lancement des innovations », tant que cela est possible ;
- La « révision du chiffre d’affaires prévisionnel s’il a été affecté par la crise sanitaire » ;
- Une adaptation du plan promotionnel affecté par la crise, « au regard de la faisabilité des opérations sur le second semestre 2020 ». Le cas échéant, les contrats de mandats (NIP) doivent également être adaptés en conséquence.
Le recours à la médiation
Pour éviter le risque de contentieux ou, plus généralement, pour « saisir les meilleures opportunités d’accord », la Commission incite les Parties à utiliser toutes les techniques de règlement amiable des litiges, notamment celle de la médiation.
La médiation permet aux parties « d’explorer toutes les opportunités d’accord », de bonne foi, pour permettre une poursuite de la collaboration.
La médiation étant confidentielle, le contenu de la médiation est toujours secret et ne peut être révélé. Tout au plus, le juge peut savoir s’il y a eu ou non une tentative de médiation mais nul ne peut révéler au juge les raisons de l’échec d’une médiation.
La CEPC rappelle ainsi l’intérêt de cette voie pour les Parties, notamment en temps de crise.
Face à la COVID-19 et aux mesures prises par les autorités gouvernementales pour enrayer la propagation du virus, les fournisseurs et distributeurs ont dû réagir rapidement.
La Recommandation, bien que dépourvue de caractère impératif, constitue un outil devant permettre de guider les opérateurs dans le cadre du retour progressif à une situation normale d’approvisionnement.
Il convient de noter que la Recommandation 20-1 ne se prononce pas sur l’application de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306, qui a suspendu, entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus, l’application de certaines pénalités ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, permettant ainsi de limiter les sanctions contractuelles au cas de difficulté d’exécution liée à la crise sanitaire. L’éclairage de la CEPC sur ce point aurait permis de clarifier certaines situations relatives notamment aux pénalités logistiques.
Cette recommandation pourra également être prise en compte dans le cadre des négociations 2021, d’ores et déjà empruntes d’une certaine incertitude. Certains documents commerciaux et/ou contrats pourraient, en effet, être utilement amendés pour l’avenir, pour intégrer des mécanismes juridiques plus adaptés en cas de crise sanitaire.
[1] Déclaré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ; prorogé par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ; et prorogé jusqu’au 30 octobre 2020 par la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020, sur les seuls territoires de la Guyane et de Mayotte.