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06/04/2020

[COVID-19] Les entreprises ayant bénéficié d’aides de l’Etat durant la crise COVID-19 pourront-elles distribuer des dividendes ou racheter leurs actions en 2020 ?

Information à jour, à date de publication de cet article

Le 27 mars dernier, le gouvernement a annoncé que l’Etat souhaitait réserver les différentes avances de trésorerie proposées dans le cadre de la crise COVID-19 aux entreprises qui ne verseraient pas de dividendes et ne rachèteraient pas leurs actions en 2020.

Ces annonces lacunaires laissaient cependant un doute sur le champ d’application et les modalités concrètes de mise en œuvre de cette restriction.

Des précisions récentes du gouvernement, faites sous forme de foire aux questions, viennent éclairer les entreprises sur ce dispositif.

I. Quelles sont les entreprises concernées par l’interdiction de verser des dividendes / racheter leurs actions ?

Les entreprises concernées par l’interdiction de verser des dividendes / racheter leurs actions sont les entreprises qui remplissent cumulativement les conditions suivantes :

1. Elles ont bénéficié de certaines aides dans le cadre de la crise COVID-19

Selon le document publié par le gouvernement, seules les entreprises ayant bénéficié d’un report d’échéances fiscales et sociales ou d’un prêt garanti par l’État se voient interdire le versement de dividendes / le rachat de leurs actions en 2020.

Aussi, ne sont en principe pas concernées par l’interdiction de versement de dividendes / de rachat d’actions les entreprises qui, dans le cadre de la crise COVID-19 :

  • – N’auraient bénéficié d’aucune aide ;
  • – Auraient bénéficié uniquement d’aides autres que le report d’échéances fiscales et sociales ou d’un prêt garanti par l’Etat (ex : chômage partiel).
2. Elles dépassent certains seuils

Tout d’abord, seules les grandes entreprises sont concernées, c’est-à-dire celles qui emploient, lors du dernier exercice clos, au moins 5 000 salariés ou ont un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros en France.

Nous vous précisons que cette définition est entendue de manière très large puisque les entreprises faisant partie d’un groupe qui, de manière consolidée, dépasserait les seuils précités, seraient toutes soumises à l’interdiction de verser des dividendes / de racheter leurs actions, y compris celles qui n’auraient bénéficié d’aucune aide de l’Etat.

Le groupe d’entreprise se définit ici comme l’ensemble des entreprises qui sont fiscalement intégrées ou qui remplissent les conditions de détention pour l’être, c’est-à-dire en pratique les entreprises qui sont détenues à 95% au moins, directement ou indirectement, par une même société.

3. Elles n’ont pas une obligation légale de verser des dividendes

Les entreprises qui ont une obligation légale de verser des dividendes ne sont pas concernées par l’interdiction.

Une simple obligation statutaire ou contractuelle de verser des dividendes ne devrait donc pas permettre à l’entreprise de passer outre cette interdiction.

Une lecture stricte du document publié par le gouvernement nous permet de penser que si une entreprise a une obligation légale de versement de dividendes, alors elle pourrait toujours, au-delà de cette obligation, également racheter ses propres actions sans que les aides d’Etat dont elle a bénéficié soient remises en cause.

Cependant, nous recommandons aux entreprises qui ont une obligation légale de verser des dividendes de ne pas racheter leurs propres actions en 2020, car cela serait contraire à l’esprit de la mesure établie par le gouvernement et les exposerait aux sanctions décrites ci-dessous.

Nous vous précisons également que pour ces entreprises, le montant distribué devra être strictement limité à ce qui est requis par leur obligation légale.

II. Quelles opérations sont concernées par l’interdiction ?

Les entreprises concernées ont l’interdiction de procéder aux opérations suivantes :

  • – Versement de dividendes, en numéraire ou en actions ;
  • – Rachat de leurs propres actions ;
  • – Et, plus généralement, toutes les autres formes de distribution en numéraire ou en actions (ex : acomptes sur dividendes, distributions exceptionnelles de réserves, etc.).

Nous vous précisons que seules sont concernées par l’interdiction les opérations précitées qui seraient faites après le 27 mars 2020.

Si la décision de l’organe compétent pour décider de telles opérations est antérieure au 27 mars 2020, alors les entreprises concernées pourront bénéficier des aides de trésorerie de l’Etat (et/ou conserver les aides dont elles ont déjà bénéficié) sans encourir les sanctions prévues.

Par ailleurs, les rachats d’actions destinés à l’attribution d’actions aux salariés, ainsi que ceux destinés à l’exécution d’un engagement juridique antérieur au 27 mars 2020 (par exemple, au titre d’une valeur mobilière donnant accès au capital), sont en revanche possibles.

Les rachats d’actions dans le cadre d’une opération de croissance externe sont également autorisés, à condition qu’ils soient nécessaires et que cette opération ait fait l’objet d’un engagement juridique de la société antérieur au 27 mars 2020. En cas de contrôle, il incombera à l’entreprise d’établir la raison pour laquelle les rachats d’actions ont été réalisés et la réalité de l’affectation des actions rachetées aux fins qu’elle invoque.

En ce qui concerne les sociétés faisant partie d’un groupe, les distributions intragroupes sont aussi possibles lorsqu’elles ont pour effet au final de soutenir financièrement une société française.

Cette condition de soutien financier est assez floue et dans l’hypothèse où les entreprises concernées souhaiteraient procéder à des distributions intragroupes, elles devront veiller à s’assurer que ces distributions soient faites à des entreprises françaises ayant de réels besoins financiers et que l’intention de soutenir financièrement ces entreprises soit matérialisée dans les différents actes juridiques établis à l’occasion de la distribution.

Enfin, le texte publié par le gouvernement semble également autoriser :

  • – D’une part les réductions de capital, par rachat de ses propres titres ou par réduction de leur montant nominal, dès lors qu’elles sont motivées par des pertes ;
  • – D’autre part les rachats de titres qui ne sont pas faits « à des fins de gestion financière ».

Les contours de cette notion sont incertains, mais il semblerait que le texte vise ici les rachats d’actions qui ne sont ni destinés à favoriser une opération de croissance externe ou la liquidité des titres ni destinés aux titulaires de valeurs mobilières donnant accès au capital, sauf exceptions vues ci-dessus.

Aussi par exemple, nous pensons qu’un rachat d’actions réalisé à seule fin de restructuration interne et qui n’entraînerait aucun versement de liquidités devrait pouvoir être réalisé en 2020 par les entreprises concernées.

III. Quel formalisme doit être respecté pour pouvoir bénéficier des aides d’Etat ?

La mesure prend la forme d’un engagement des entreprises concernées à ne pas procéder aux opérations précitées.

Le formalisme dépend de l’aide d’Etat concernée :

  • Concernant les reports d’impôts directs, l’entreprise devra s’engager en remplissant le formulaire de demande sur le site impots.gouv.fr et en cochant la case dédiée.
  • Concernant les reports de cotisations sociales, l’entreprise devra s’engager, par un simple message (un courriel peut suffire) adressé à l’Urssaf qui gère son compte, à respecter l’engagement de non-versement de dividendes et de non-rachat d’actions qui conditionne le report d’échéances sociales.
  • Les Urssaf contacteront par courriel avant l’échéance du 5 avril les entreprises concernées pour les informer.
  • Dans le cas de groupes, le contact sera réalisé avec la seule entreprise tête de groupe : l’engagement devra alors être adressé par l’entreprise tête de groupe pour l’ensemble du groupe, même si le report n’est demandé que par une ou certaines entités juridiques du groupe.
  • En ce qui concerne l’octroi d’un prêt garanti par l’Etat, une clause résolutoire sera introduite dans le contrat de prêt au moment de l’instruction de la demande de prêt par les services du ministère de l’économie et des finances.

IV. Quelles sanctions en cas de non-engagement ou en cas de non-respect de l’engagement ?

A défaut d’engagement ou en cas de non-respect de l’engagement précité, les cotisations sociales ou échéances fiscales reportées ou le prêt garanti par l’Etat devront être remboursés avec application des pénalités de retard de droit commun.

Ces majorations seront décomptées à partir de la date d’exigibilité normale des échéances reportées. Par ailleurs, les entreprises ne pourront pas bénéficier d’un accord de délai pour l’échéance reportée et devront s’acquitter immédiatement des sommes impayées.