Publications
20/03/2020

[COVID-19] Les limites de l’exercice du droit de retrait d’un salarié

Information à jour, à la date de la publication de cet article.


  1. Qu’est-ce que le droit de retrait ? Son fondement juridique ?

Ce droit posé par l’article  L. 4131-1 premier alinéa du code du travail, consiste en la possibilité offerte à tout agent ou salarié de quitter son poste de travail : s’il a un motif raisonnable de penser qu’il se trouve exposé à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ou s’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection.

Le fondement de ce droit repose aussi sur l’article L 4122-1 du CT qui impose au travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et de ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité et de celle de ses collègues de travail.

En principe un salarié ne devrait pas avoir l’occasion de faire valoir spontanément ce droit de retrait dans la mesure où en applications des articles L 4121-1  et L 4132-5 du CT, s’il a des raisons de penser qu’il existe un danger grave et imminent pour les salariés de son entreprise, l’employeur doit prendre toutes les mesures utiles pour y remédier, les mettre en sécurité et leur faire quitter les lieux (information, formation, mise à disposition d’équipements individuels et collectifs de sécurité, etc…)

  1. Dans quelles conditions un salarié exposé au risque de contamination COVID-19 peut-il exercer son droit de retrait ?

Dès lors un travailleur peut se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa santé, ou en cas de défectuosité constatée dans le système de protection  (ex : une arrivée importante de personnes contaminées sans aucune mesure de mise à l’écart ou de sauvegarde du personnel).

Ce motif ne peut donc être seulement professionnel mais bien en lien avec la santé (Soc Cass 26 septembre 1990).

Il doit alerter immédiatement l’employeur de cette situation (la preuve lui incombe) et l’information doit être concomitante à l’exercice du droit.

Pour autant l’information ne doit pas être nécessairement effectuée par écrit (Soc Cass 28 mai 2008, JCP S 2008 1506 – note BAREGE et BOSSU)

 Il s’agit d’un droit individuel et subjectif.  Il peut s’exercer indépendamment de l’intervention des représentants du personnel et donc du CSE (Soc Cass 10 mai 2001)

Le danger ne doit pas être nécessairement extérieur (Soc Cass 20 mars 1996, P 93-40111).

L’analyse de l’opportunité d’exercice de ce droit et des indices permettant de penser que le maintien dans le poste de travail présente un danger grave et imminent, relève de l’office du juge du fond qui vérifie souverainement le caractère raisonnable du motif. (Soc Cass 23 avril 2003, P 01-44806)

  • Cependant le premier à en apprécier la légitimité sous réserve du contrôle des Tribunaux a postériori est l’employeur, qui peut ou non priver le salarié de toute rémunération car par principe la contrepartie du salaire est le travail (Soc Cass 11 février 1971 et 8 juin 2005) et envisager une sanction disciplinaire, voire un licenciement pour faute à l’encontre du salarié absent (Soc Cass 17 Octobre 1989).

En cas de désaccord entre un membre du CSE et l’employeur sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, l’ensemble du CSE doit être réuni (article L4132-3 du CT). Si la divergence persiste sur les mesures à prendre, l’inspecteur du travail intervient alors (article L 4132-4 du CT).

Tel ne peux être le cas selon notre analyse lorsqu’il s’agit d’appliquer les mesures de protection préconisées par le Gouvernement.

Le droit de retrait doit être exercé de telle manière qu’il ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de risque grave et imminent (article L. 4132-1 du CT). Ce droit de retrait ne peut donc s’exercer en principe lorsque le risque concerne des personnes extérieures à l’entreprise, notamment des usagers (circulaire DRT n° 93/15 du 26 mars 1993).

Ce droit de retrait ne peut en outre être exercé avec paiement du salaire par un collaborateur déjà en arrêt de travail (Cass Soc 9 Octobre 2013)

En situation de crise sanitaire, la  possibilité de recourir à l’exercice du droit de retrait est donc plus fortement restreinte, sous réserve toutefois que l’employeur ait déjà pris les mesures de prévention et de protection nécessaires, conformément aux recommandations officielles du gouvernement (www.gouvernement.fr/info-coronavirus).

  1. Quel recours de l’employeur en cas d’abus dans l’exercice de ce droit de retrait ?

a) Si l’usage du droit semble légitime en raison de l’absence ou l’insuffisance de mesures de prévention prises par la société :

La règle est qu’aucune sanction, ni licenciement, aucune retenue sur salaire ne peuvent être appliqués du fait de l’exercice légitime de ce droit de retrait (article L 4131-3 du CT).

Le salarié peut saisir le juge des référés pour obtenir paiement en partie du moins de sa rémunération, dès lors que ce droit est légitimement appliqué.

Le licenciement fondé même partiellement sur l’exercice légitime de ce droit est considéré comme nul, avec paiement des indemnités de rupture et d’au moins 6 mois de salaires bruts (Soc Cass 25 novembre 2015).

De même il est interdit à l’employeur de demander au travailleur ayant fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger réellement et valablement considéré comme grave et imminent.

b) Si l’usage du droit est manifestement illégitime en raison de la mise en œuvre concrète de mesures de prévention et de protection par la société telles que préconisées par le gouvernement :

Inversement, si l’exercice de ce droit relève manifestement de l’abus, une retenue sur salaire pour inexécution du contrat de travail peut être valablement effectuée

  • En la matière l’employeur peut se faire justice à lui-même selon la Jurisprudence constante de la Cour de cassation, sans avoir à saisir préalablement la Juridiction prud’homale, même si le collaborateur reste à sa disposition dans les locaux de l’entreprise (Soc Cass 25 novembre 2008)    

L’exercice non fondé de ce droit ne caractérise pas en soi l’existence d’une faute grave, mais peut constituer un motif de sanction disciplinaire voire une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc Cass 6 décembre 1990 et Soc Cass 17 Octobre 1989) sous réserve de l’appréciation des juges.

  • Si l’employeur règle spontanément le salaire au collaborateur en dépit de l’absence, cela tend à confirmer la validité de la démarche du salarié et son exposition injustifiée à un risque pour sa santé, ce qui met en évidence l’aveu d’une faute éventuelle de sa part pouvant porter atteinte à l’obligation de sécurité de résultat

 Il est donc toujours préférable soit de contester a priori l’exercice de ce droit, soit de réagir immédiatement en modifiant les conditions de travail et le Document Unique d’évaluation des risques, pour inciter le salarié à reprendre ses fonctions normalement.

Par ailleurs la Faute Inexcusable de l’employeur prévue par l’article L452-1 du code de sécurité sociale est de plein droit reconnue en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle en lien avec le risque dénoncé auprès de l’employeur (article L4131-4 du code du travail).

Une contamination ayant conduit à une grave pathologie ou un décès pourrait donc conduire à la reconnaissance automatique de cette faute inexcusable.

Le site internet du gouvernement présente les mesures prises sur le territoire national pour faire face au Coronavirus, ainsi qu’une série de conseils et une foire aux questions sur l’épidémie afin de permettre aux employeurs de démontrer une action concrète en faveur de la sécurité des salariés et de rendre plus contestable et inopportun l’usage de ce droit de retrait par un salarié.

Un numéro vert répond par ailleurs à vos questions sur le coronavirus de 9h00 à 19h00, sept jours sur sept :

0 800 130 000.