Droit économique / Condamnation par l’Autorité de la concurrence d’un producteur de vins pour entente généralisée sur les prix de vente au détail
L’Autorité de la concurrence, par une décision du 17 juillet 2024 (n°24-D-07), a eu l’occasion de rappeler que le marché vitivinicole ne faisait pas exception au principe de la liberté des prix.
Un producteur de vins sous IGP Côtes de Gascogne, propriétaire d’un domaine d’environ 300 hectares en propre et 450 hectares en négoce, réalisant aux alentours de 15 à 20 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018 et employant une quarantaine de salariés, s’estimait victime de « dumping » de certains cavistes. Ses produits étaient, selon lui, utilisés « comme produits d’appel à prix cassé attirant une clientèle qui achetait d’autres produits par la même occasion au détriment des autres cavistes », lesquels le menaçaient de déréférencement.
Afin de juguler ce problème, le producteur a mis en place un système de distribution par lequel les distributeurs s’engageaient à respecter une grille tarifaire comportant des prix de vente au détail certes « conseillés », mais présentés comme « correspond[a]nt à des tarifs minimums à appliquer à la bouteille », ou comportant la mention « gamme strictement réservée au secteur traditionnel sous respect des prix de vente minimums conseillés ».
Les distributeurs s’engageaient, en retournant signées des fiches de compte ouvertes par le producteur et ayant valeur contractuelle, à respecter ces prix de revente minimums.
Ainsi, les différents contrats comportaient les mentions suivantes : « Je m’engage également à appliquer les prix de vente TTC conseillés mentionnés sur le tarif en vigueur » ; « J’engage la société citée ci-dessus à respecter les prix de vente Marketing TTC conseillés mentionnés sur le tarif en vigueur », ou bien encore « Je m’engage par la présente à : – Respecter les prix de vente minimums stipulés sur les tarifs ».
Enfin, le producteur a mis en place une police des prix, s’appuyant notamment sur une surveillance des prix de revente par ses propres équipes commerciales, mais également sur les dénonciations de cavistes s’estimant lésés par des prix de vente au détail jugés trop bas pratiqués par certains de leurs concurrents.
Les cavistes contrevenants s’exposaient à des sanctions, le producteur n’hésitant pas à leur adresser des injonctions à augmenter leurs tarifs de revente sous peine de menace d’arrêt des livraisons, de rachat des marchandises ou d’imposition d’une pénalité de 300% du montant. L’Autorité de la concurrence a constaté que, dans les faits, certains cavistes ont subi des retards de livraisons, n’étant plus considérés comme « prioritaires ».
L’Autorité de la concurrence a rappelé que la mise en œuvre d’un tel système d’imposition et de contrôle des prix de revente est illicite.
Rappelons que l’article L410-2, alinéa 1er du Code de commerce, figurant au livre IV « De la liberté des prix et de la concurrence », pose le principe selon lequel les prix « sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ».
Plus particulièrement, l’article L420-1, 2° du Code de commerce interdit les ententes qui tendent à « faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ».
A ce titre, les ententes verticales (c’est-à-dire, ici, entre producteur et distributeur) tendant à imposer un prix de vente sont prohibées. Les lignes directrices du 10 mai 2010 de la Commission européenne, auxquelles l’Autorité de la concurrence se réfère, y compris lorsqu’il s’agit uniquement d’appliquer le droit de la concurrence sur le marché français, précisent que sont des prix de vente imposés « les accords ou pratiques concertées ayant directement ou indirectement pour objet l’établissement d’un prix de vente fixe ou minimal ou d’un niveau de prix de vente fixe ou minimal que l’acheteur doit appliquer », y compris lorsque ces pratiques tendent à « faire d’un prix maximal ou conseillé l’équivalent d’un prix de vente imposé » (points 48 et 223).
L’Autorité de la concurrence a constaté que le système mis en place par le producteur constituait bien une entente avec ses distributeurs sur les niveaux de prix.
Elle explique qu’« un tel objectif, qui visait à altérer le fonctionnement concurrentiel du secteur, en limitant la concurrence intra-marque en vue de maintenir un niveau de prix suffisamment élevé, établit la nocivité de la pratique et participe de la caractérisation de son objet anticoncurrentiel ».
Elle souligne enfin la gravité des faits, car « un accord vertical sur les prix constitue une restriction de concurrence par objet. Il n’est dès lors par nécessaire d’établir l’existence des effets qu’il est à même d’engendrer », et prend la peine de citer la Cour d’appel de Paris, selon laquelle de telles ententes « même si elles ne sont pas regardées avec autant de sévérité que les ententes horizontales, figurent parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles » (CA Paris, 28 janvier 2009, Epsé Joué Club).
La loi prévoit une sanction sévère : « le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10% du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre (…) » (article L464-2, I, alinéa 4 du Code de commerce).
Afin de déterminer le montant de la sanction, l’Autorité rappelle que « la circonstance que [le producteur] n’avait pas conscience de l’illégalité des pratiques ne constitue pas une circonstance atténuante ». Elle relève toutefois que la pratique, qui a duré 3 ans et 7 mois, a progressivement cessé par une série d’actions mises en place à la suite d’un contrôle de la DGCCRF, ce qui « n’est pas de nature à atténuer la gravité des pratiques constatées », mais que l’Autorité prend « en considération pour individualiser en l’espèce le montant de la sanction pécuniaire », fixée à 500.000 euros.
Notons que la société mère, qui détient à plus de 99% le capital social du producteur, a également été condamnée solidairement, car « ces deux sociétés font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens du droit de la concurrence ».
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