Ecart significatif
Conseil d’Etat, 26 octobre 2021, n° 42462, Sté Crédit Agricole
Le Conseil d’Etat a rendu le 26 octobre 2021 un arrêt particulièrement intéressant en ce qu’il éclaire l’appréciation de la notion d’écart significatif en matière de cession d’actif immobilisé.
Une société a cédé à une de ses filiales l’intégralité des participations qu’elle détenait dans une autre société pour un prix de 61 millions d’euros correspondant à la valeur historique de ces titres au bilan.
En vertu des articles 38 et 209 du CGI, le résultat imposable est déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale.
Il en résulte que l’administration fiscale est en droit de rectifier le résultat imposable d’une entreprise qui a cédé un actif immobilisé pour un prix significativement inférieur à sa valeur vénale dès lors qu’elle n’est pas en mesure de démontrer la nécessité de procéder à cette cession à un tel prix ni qu’elle en ait retiré une contrepartie.
En l’espèce, l’administration a estimé que cette cession avait été réalisée pour un prix inférieur à la valeur vénale réelle des titres qu’elle a évaluée à 71 millions d’euros par l’application de la méthode mathématique. Elle a donc réintégré la différence de 10 millions d’euros, correspondant à un écart de 14,1 % dans le résultat imposable de la société cédante.
Dans un arrêt en date du 25 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Versailles avait dégrevé la société des impositions en litige au motif que l’administration n’apportait pas la preuve d’un écart significatif entre le prix de cession des titres et leur valeur vénale réévaluée.
Pour juger que l’écart de 14,1 % ne caractérisait pas un écart significatif, la cour s’était implicitement fondée sur le fait que seul un écart supérieur à 20 % pouvait être considéré comme significatif.
Ce seuil de 20 % avait été mentionné pour la première fois par le rapporteur public Lauren Olléon dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 juillet 2009, n° 306363, « Plessis de Pouzilhac » qui portait également sur le prix de cession de titres non cotés.
Dans ses conclusions sous cet arrêt, le rapporteur public indiquait :
« Il nous semble exclu de regarder comme significatif un prix qui ne s’écarterait pas de moins de 20 % de la valeur vénale estimée ».
Par la suite, la doctrine et la jurisprudence ont régulièrement fait référence à ce seuil de 20 % pour apprécier si un écart devait être considéré comme significatif à l’occasion de la cession de titres non cotés.
Par son arrêt du 26 octobre 2021, le Conseil d’Etat vient rappeler que l’écart significatif doit être apprécié à l’aune de la complexité à évaluer les actifs en question. Il en résulte que le seuil de 20 % n’est pas applicable en toute circonstance. Ce seuil, qui a pour finalité de tenir compte de l’imprécision normalement attachée à la valorisation de titres non cotés n’a d’ailleurs jamais été explicitement invoqué par le Conseil d’Etat.
Dès lors, dans le cas où les circonstances permettent d’obtenir une évaluation fidèle et peu contestable de la valeur des titres, un écart inférieur à 20 % peut être considéré comme significatif.
Tel était le cas en l’espèce dès lors que l’actif de la société cédée était majoritairement composé de liquidités, à hauteur de 70 millions d’euros.
Le Conseil d’Etat donne donc raison à l’administration en jugeant que l’écart de 14,1 % entre le prix stipulé dans l’acte et la valeur vénale réelle devait, en l’espèce, être considéré comme significatif et donc constitutif d’un acte normal de gestion.