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03/05/2024

Football : Affaire Diarra – Conclusions de l’avocat général au sujet du système des transferts

Quelques mois après ses arrêts du 21 décembre 2023, la CJUE s’apprête à rendre une importante décision concernant le système de transfert mis en place par la FIFA[1].

L’affaire en cause oppose l’ancien joueur de football Lassana Diarra et la FIFPRO à la FIFA et la Fédération belge de Football. La CJUE devra juger si les règles édictées par la FIFA en matière de transferts constituent une restriction de concurrence incompatible avec le marché intérieur (art. 101 TFUE) et la libre circulation des travailleurs (art. 45 TFUE).

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En 2014, le club russe du Lokomotiv Moscou a résilié le contrat de travail le liant à Lassana Diarra, prétendant que celui-ci avait arrêté d’exécuter son contrat sans juste cause.

Or, le Règlement du Statut et du transfert des Joueurs (RSTJ) prévoit que :

  • Un joueur et un club souhaitant l’engager sont solidairement et conjointement responsables du paiement de l’indemnité due au club avec lequel le contrat a été résilié sans juste cause (art. 17.2, 17.3 et 17.4 du RSTJ) ;
  • L’association dont dépend l’ancien club d’un joueur a le droit de ne pas délivrer le Certificat International de Transfert (CIT) nécessaire pour l’engagement du joueur par un nouveau club, lorsqu’il existe un litige entre l’ancien club et le joueur (art. 9.1 du RSTJ et 8.2, paragraphe 7 de l’annexe 3 du RSTJ).

Suite à la résiliation de son contrat, Monsieur Diarra indique n’avoir pu obtenir, qu’une proposition du Sporting du pays de Charleroi, lequel lui a adressé, le 19 février 2015, une lettre d’engagement contenant deux conditions suspensives cumulatives, à savoir (1) qu’il soit enregistré et qualifié, conformément aux règles applicables et au plus tard le 15 mars 2015, pour jouer au sein de l’équipe première du Sporting du Pays de Charleroi, dans toute compétition officielle organisée par la Fédération belge de football, l’UEFA ou la FIFA, et (2) qu’il ait obtenu (dans le même délai) la confirmation écrite et inconditionnelle que le Sporting du Pays de Charleroi ne pouvait être tenu (comme débiteur) solidairement responsable de toute indemnité (notamment celle compensatoire de rupture de contrat) que Monsieur Diarra pourrait être tenu de payer au Lokomotiv Moscou.

Dans la mesure où les conditions édictées par le club belge n’étaient pas remplies, Monsieur Diarra s’est alors retrouvé sans club.

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Le litige a été porté devant la Commission des litiges de la FIFA, laquelle a partiellement accueilli la demande du Lokomotiv Moscou, condamnant le joueur à verser au club une amende de 10,5 millions d’euros. Cette décision a ensuite été confirmée en appel par le Tribunal Arbitral du Sport.

Du fait de ce litige, le joueur a éprouvé de grandes difficultés à retrouver un club, avant de finalement signer à l’Olympique de Marseille en 2015.

Le 9 décembre 2015, Monsieur Diarra a assigné la FIFA et la Fédération nationale de football belge devant un tribunal de commerce belge, en vue d’obtenir la réparation du préjudice, à savoir un manque à gagner de 6 millions d’euros, qu’il prétend avoir subi en raison de l’application par celles-ci des dispositions litigieuses, qu’il considère comme étant illégales au regard du droit de l’Union.

Par une décision du 19 septembre 2022, la Cour d’appel de Mons a saisi la CJUE de questions préjudicielles portant sur la compatibilité des règles issues du règlement de la FIFA avec le droit européen.

L’audience devant la CJUE s’est tenue le 18 janvier 2024.

Le 30 avril dernier, l’avocat général, Maciej Szpunar, a rendu ses conclusions, apportant un éclairage sur le raisonnement que pourrait suivre la Cour.

Le règlement FIFA confronté au droit de l’Union Européenne

Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, selon les conclusions de l’avocat général, si les articles 45 et 101 TFUE s’opposent à l’application de règles, telles que celles adoptées par la FIFA, qui établissent que (1) le joueur et le club souhaitant l’engager sont solidairement et conjointement responsables du paiement de l’indemnité due au club avec lequel le contrat a été rompu sans juste cause, et que (2) une fédération dont dépend l’ancien club d’un joueur a la possibilité de ne pas délivrer le certificat international de transfert nécessaire pour l’engagement du joueur par un nouveau club, s’il existe un litige entre cet ancien club et le joueur.

A. Sur l’article 45 du TFUE

    L’article 45 du TFUE s’oppose à toute mesure susceptible de défavoriser les ressortissants de l’Union lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un Etat membre, en les empêchant ou en les dissuadant de quitter ce dernier.

    Or, en l’espèce, les règles du RSTJ ont empêché le joueur d’exercer une activité professionnelle dans un autre Etat membre de l’UE, à savoir la Belgique.

    Sur ce point, les conclusions de l’avocat général précisent que les dispositions du RSTJ sont de nature à décourager ou à dissuader les clubs d’engager le joueur par crainte d’un risque financier ou de sanctions interdisant le club d’enregistrer de nouveaux joueurs.

    L’avocat général conclue en ces termes :

    « L’article 45 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application de règles ayant été adoptées par une association responsable de l’organisation de compétitions de football au niveau mondial et mises en œuvre tant par cette association que par les associations nationales de football membres de celle-ci :

    • qui prévoient qu’un joueur et le club souhaitant l’engager sont solidairement tenus au paiement de l’indemnité due au club avec lequel le contrat a été rompu sans juste cause, à moins qu’il ne puisse être prouvé qu’il est réellement possible, dans un délai raisonnable, de ne pas appliquer ce principe lorsqu’il peut être établi que le nouveau club n’a pas été impliqué dans la résiliation prématurée et injustifiée du contrat du joueur ;
    • qui prévoient qu’une fédération dont dépend l’ancien club d’un joueur a la possibilité de ne pas délivrer le certificat international de transfert nécessaire pour l’engagement du joueur par un nouveau club, s’il existe un litige entre cet ancien club et le joueur, sauf s’il peut être prouvé que des mesures provisoires efficaces, réelles et rapides peuvent être prises dans une situation où il est simplement allégué que le joueur n’a pas respecté les termes de son contrat et que le club a été contraint de résilier le contrat en raison du prétendu non‑respect par le joueur de ses obligations contractuelles. »

    B. Sur l’article 101 du TFUE

    Les conclusions de l’avocat général précisent que les règles du RSTJ constituent une restriction de concurrence par objet, dans la mesure où elles limitent la capacité des clubs à recruter des joueurs, ce qui affecte nécessairement la concurrence entre les clubs sur le marché de l’acquisition des joueurs professionnels.

    En effet, le RSTJ limite la possibilité pour le joueur de changer de club et inversement, pour le club d’embaucher des joueurs lorsque le contrat d’un joueur a été résilié sans juste cause.

    Si le principe tenant au paiement d’une indemnité pour rupture du contrat sans juste cause peut être considéré comme nécessaire à l’objectif de stabilité contractuelle, il ressort des conclusions de l’avocat général qu’engager systématiquement la responsabilité conjointe et solidaire du nouveau club au paiement de l’indemnité outrepasse le principe de nécessité et de proportionnalité dans la situation où le club n’a joué aucun rôle dans la résiliation du contrat (art. 17.2 du RSTJ).

    Il apparaît par ailleurs que ces règles comportent le risque d’un refus de délivrance du CIT fondé sur la simple allégation que le joueur n’a pas respecté les termes de son contrat et que le club a été contraint de le résilier (art. 8.2, paragraphe 7, et art. 8.2 paragraphe 4 b) de l’annexe 3 du RSTJ).

    L’avocat général précise qu’une telle restriction de concurrence peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et lorsqu’elle demeure proportionnée à l’objectif poursuivi :

    « L’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des règles ayant été adoptées par une association responsable de l’organisation de compétitions de football au niveau mondial et mises en œuvre tant par cette association que par les associations nationales de football membres de celle-ci qui prévoient la solidarité d’un joueur et d’un club souhaitant l’engager au paiement de l’indemnité due au club avec lequel le contrat a été rompu sans juste cause ainsi que la possibilité, pour la fédération dont dépend l’ancien club du joueur, de ne pas délivrer le certificat international de transfert nécessaire pour être employé par un nouveau club, s’il existe un litige entre cet ancien club et le joueur, lorsqu’il est établi, d’une part, que ces décisions d’associations d’entreprises sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et, d’autre part, qu’elles ont soit pour objet soit pour effet de restreindre la concurrence entre les clubs de football professionnel, à moins que, dans la seconde de ces hypothèses, il ne soit démontré, au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants, qu’elles sont à la fois justifiées par la poursuite d’un ou de plusieurs objectifs légitimes et strictement nécessaires à cette fin»

    Très attendue, la décision de la CJUE, qui devrait être rendue cet été, s’inscrira dans la lignée des derniers arrêts rendus le 21 décembre 2023 et risque de remettre en cause une part importante du système de transferts mis en place par la FIFA.


    [1] Affaire C-650/22, Lassana Diarra et FIFPRO c/ FIFA et Fédération belge de football


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