26/03/2019

Intérêts versés à des entreprises liées : quelle preuve pour quel taux ?

CAA de PARIS, 9ème chambre, 31/12/2018, 17PA03018, WB Ambassador

Par un arrêt rendu en date du 31 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Paris a apporté des précisions sur l’appréciation de la pertinence des taux d’intérêts versés à des entreprises liées, en estimant que la preuve permettant de justifier la pertinence du taux appliqué dans une telle situation est libre, aussi bien dans sa forme que dans la date à laquelle celle-ci est constituée.

En revanche, la cour interprète de manière littérale la notion d’établissements ou d’organismes financiers indépendants en refusant le recours à des comparables relatifs au marché obligataire.

Pour rappel, l’article 212, I, a du CGI prévoit une limitation de la déduction pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu des intérêts servis aux entreprises auxquelles elles sont liées au sens des dispositions de l’article 39, 12 du CGI.

Les intérêts afférents à des sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée sont ainsi déductibles dans la limite de ceux calculés d’après le taux prévu à l’article 39, 1-3° du CGI (i.e., la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit) ou s’ils sont supérieurs, d’après le taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.

Au cas d’espèce, pour financer l’acquisition de l’intégralité du capital et des droits de vote de la société A, la société WB Ambassador avait contracté au cours de l’année 2008 des emprunts auprès de deux banques, Aareal Bank AG et Calyon, ainsi qu’auprès de sa société mère, la SARL Barkelay. La société WB Ambassador avait également repris une dette contractée envers la société A, sa nouvelle filiale.

Ces deux derniers prêts, contractés par la société WB Ambassador envers des sociétés liées (sa société mère et sa filiale), étaient rémunérés chacun au taux fixe annuel de 7%.

La société WB Ambassador a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les années 2010, 2011 et 2012, à l’issue de laquelle l’administration fiscale a retenu les taux de référence de 6,21%, 4,81%, 3,82%, 3,99% et 3,39% appliqués aux exercices clos de 2008 à 2012, soit le taux maximum des intérêts déductibles de l’article 39,1-3° du CGI.

Le Service a ainsi remis en cause la déduction de la fraction excédentaire des intérêts versés dans le cadre de ces prêts intragroupes, au motif que la société WB Ambassador n’apportait pas la preuve que les taux pratiqués par les entreprises liées n’étaient pas supérieurs à ceux que la société « aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues » conformément aux dispositions de l’article 212, I, a du CGI.

Pourtant, la société WB Ambassador avait produit une étude de taux réalisée par ses conseils en 2015 conformément aux principes et méthodes préconisés par l’OCDE en matière de prix de transfert. En 2018, cette étude a été soumise pour avis à deux experts judiciaires, lesquels ont confirmé la pertinence de la méthodologie suivie.

Dans un premier temps, la cour administrative d’appel de Paris affirme explicitement que, pour l’application de l’article 212, I, a du CGI, la preuve de la justification du taux d’intérêt pratiqué peut être rapportée librement, aussi bien par sa forme (par exemple, il est possible d’avoir recours à un benchmark de taux, la production d’une offre de prêt d’un établissement bancaire n’étant pas obligatoire), que par la date à laquelle elle peut être constituée (l’entreprise n’est pas contrainte de produire une preuve – offre de prêt ou étude de taux – contemporaine aux opérations).

Cette solution était particulièrement attendue dans la mesure où la production d’offres de prêt est souvent très difficile, voire impossible, s’agissant précisément de dettes aux caractéristiques éloignées de celles des prêts seniors.

Toutefois, dans un second temps et de manière assez surprenante, la cour administrative d’appel de Paris a estimé que les comparables retenus par l’entreprise pour justifier des taux d’intérêts pratiqués n’étaient pas pertinents, puisque « l’emprunteur doit démontrer que ce taux est conforme à celui qu’il aurait pu obtenir non sur les marchés financiers, mais auprès d’établissements ou d’organismes financiers indépendants, dans des conditions analogues ».

La Cour retient une conception particulièrement stricte de la notion d’établissements ou organismes financiers indépendants, puisqu’elle les circoncit à ceux « habilités à accorder des crédits et/ou à recevoir des dépôts », excluant de facto la référence au marché obligataire.

Ainsi, si la cour administrative de Paris réaffirme le principe de la liberté de la preuve pour justifier des taux d’intérêts pratiqués dans le cadre de prêts contractés auprès d’entreprises liées, concernant tant la forme que la date à laquelle la justification peut être apportée, elle restreint explicitement le champ des comparables pouvant être retenus par l’entreprise, en limitant la comparaison aux seuls taux d’intérêts qu’elle aurait pu obtenir auprès d’établissements bancaires et en excluant ceux pratiqués sur les marchés financiers.