30/11/2018

Possibilité d’imputation par le siège des pertes générées par un établissement stable résident dans un autre Etat

Par un arrêt de grande chambre du 12 juin 2018, la CJUE a précisé les conditions dans lesquelles une société établie dans un Etat peut déduire les pertes générées par un établissement stable résident d’un autre Etat.

Pour mémoire, l’arrêt Mark and Spencer (CJUE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03) a posé pour principe que les pertes générées par une filiale résidant dans un autre Etat que celui de sa société mère peuvent être imputées sur les résultats de la société mère lorsque la filiale :

– a épuisé les possibilités d’imputation de ses pertes dans son Etat de résidence ;

– et qu’il n’existe pas de possibilité pour que les pertes de la filiale étrangère soient prises en compte dans son Etat de résidence au titre des exercices futurs par elle-même ou un tiers.

Le principe dégagé par cette décision a, par la suite, été étendu aux pertes dégagées par les établissements stables non-résidents par une décision Lidl Belgium (CJUE, 15 mai 2008, aff. 414/06).

Les faits de l’affaire qui nous intéressent aujourd’hui sont les suivants. La société Bevola est implantée au Danemark et dispose en Finlande d’un établissement stable. Cet établissement a généré des pertes et a été fermé en 2009. Le siège danois a donc imputé les pertes de son établissement stable sur ses résultats imposables danois, ce que l’administration fiscale locale conteste.

Une question préjudicielle a été transmise à la CJUE pour savoir si le fait qu’une législation nationale autorise l’imputation des pertes générées par un établissement stable résident et, empêche l’imputation des pertes générées par un établissement stable non résident, sauf à ce que la société mère opte pour le régime d’intégration fiscale internationale, est une entrave à la liberté d’établissement.

La Cour constate qu’il y a bien une différence de traitement entre les pertes générées par un établissement stable selon qu’il est résident ou non résident. Elle recherche ensuite si cette différence de traitement peut être évitée par l’application du régime danois d’intégration fiscale internationale. Elle relève que ce régime est complexe puisque si l’option, d’une durée de 10 ans, est exercée, le revenu imposable du groupe au Danemark sera composé des pertes et bénéfices de toutes les entités du groupe (sociétés, établissements stables et biens immobiliers situés au Danemark ou dans un autre pays).

La Cour remarque que la législation danoise est justifiée par des motifs d’intérêt général tels que la répartition équilibrée du droit d’imposer des Etats membres, le maintien de la cohérence du régime fiscal ainsi que la nécessité de prévenir la double déduction des pertes.

Néanmoins, ces motifs d’intérêt général ne sont valables que s’ils sont proportionnés à l’objectif recherché.

En l’occurrence, la Cour juge que, puisque les pertes sont définitives et qu’elles ne peuvent plus faire l’objet d’une imputation dans l’Etat de situation de l’établissement stable, le risque de double déduction n’existe pas et ne peut donc justifier l’absence totale d’imputation des pertes de l’établissement stable non résident.

Cette décision, dans la suite de la jurisprudence communautaire, confirme et ouvre davantage la possibilité pour une société mère ou un siège d’imputer sur son résultat imposable les pertes devenues, localement, définitivement inutilisables alors qu’elles ont été générées par une filiale ou un établissement stable résident d’un autre Etat.