22/01/2019

Rachat par une société de ses propres titres répondant à une pluralité d’objectifs

Conseil d’Etat, 9ème et 10ème chambres, 22 octobre 2018 n°375213 Sté Schneider Electric

Dans une décision du 22 octobre 2018, le Conseil d’Etat a précisé le traitement fiscal du rachat par une société de ses propres titres dont au moins un des objectifs poursuivi est la réduction de son capital social.

Il est admis que le régime du rachat par une société de ses propres titres est sans influence sur la détermination de son résultat imposable. Ainsi, le rachat par une société de ses propres titres à un prix inférieur à la valeur nominale des actions ne dégage pas de profit imposable et, à la réciproque, si le rachat est effectué à un prix supérieur à la valeur nominale, aucune perte déductible ne peut être constatée par la société.

Toutefois, une variation de valeur peut être constatée entre la date de rachat des titres et leur date d’annulation, dont le régime fiscal varie selon l’objectif poursuivi par le rachat.

Au cas particulier, la société avait au cours des années 1999 à 2002, procédé à des rachats successifs de ses propres actions. L’administration fiscale, à l’issue d’une vérification de comptabilité, a réintégré dans le résultat déficitaire de la société une moins-value de 153.245.288 euros comptabilisée du fait de l’annulation d’une partie des titres rachetés lors de l’exercice clos en 2003, et déduit du résultat déficitaire de l’exercice suivant la plus-value de 20.860.000 euros constatée en raison de l’annulation d’une autre portion des titres rachetés.

Lors de l’autorisation du rachat des titres concernés par ces annulations, l’assemblée générale des actionnaires avait assigné à cette opération une pluralité d’objectifs, à savoir la régularisation du cours de bourse, la réalisation d’opérations de croissance externe et, en particulier, la réduction du capital social de la requérante.

Dans cette décision, le Conseil d’Etat a suivi le raisonnement de l’administration fiscale, en assimilant le rachat de titres poursuivant une pluralité d’objectifs dont la réduction de capital social, à un rachat de titres effectué dès l’origine dans le seul but de réduire le capital social, dès lors que l’assemblée générale des actionnaires ayant autorisé le rachat des titres ne précisait pas explicitement la proportion des titres affectés à l’objectif de réduction du capital.

Il en résulte que dans l’hypothèse (i) d’un rachat de titres réalisé dans le seul but de réduire le capital social de la société, ou (ii) d’un rachat de titres poursuivant une pluralité d’objectifs, dont l’un d’entre eux est la réduction de capital, la perte de valeur née entre la décision de rachat des titres et celle de leur annulation ne peut nullement être déduite fiscalement par la société, sauf à ce que la proportion des titres affectés à la réduction du capital social soit explicitement définie dès le rachat des titres.

Cette solution doit être comparée à la décision du Conseil d’Etat n°362317 Rexel, rendue le 1er avril 2015, au sein de laquelle la Haute juridiction s’était prononcée dans un sens favorable au contribuable, en admettant la déduction fiscale de la perte de valeur constatée entre le rachat par la société de ses propres titres et leur annulation.

La différence de solution de cette dernière décision résulte du fait que l’opération d’annulation avait, en l’espèce, conduit au reclassement des titres du compte de « valeurs mobilières de placement » vers le compte « actions propres à annuler ». Or, le Comité d’urgence du conseil national de la comptabilité (CU CNC) avait pu rendre un avis à ce sujet, au sein duquel il estimait qu’un tel reclassement équivalait comptablement à une cession.

Le Conseil d’Etat en a conclu que dans cette hypothèse, l’administration fiscale n’était pas en droit de réintégrer fiscalement la dépréciation comptabilisée par la société et déduite de ses résultats, à raison de la perte de valeur des titres rachetés au moment de leur annulation. La société pouvait ainsi déduire fiscalement la perte de valeur constatée entre le rachat par la société de ses propres titres et leur annulation.

A la lecture combinée de ces deux décisions, l’annulation de la proportion des titres explicitement affectés dès le rachat à d’autres objectifs que la réduction du capital social, tels qu’à l’attribution aux employés dans le cadre d’un plan d’attribution gratuite d’actions, pourrait permettre à la société de constater fiscalement la perte de valeur des titres survenue entre la décision de rachat et celle de leur annulation, le cas échéant.

Ainsi, il convient dans le cadre d’un rachat de titres répondant à une pluralité d’objectifs, de définir précisément (et dès l’origine) la proportion des titres destinés à d’autres objectifs que la réduction de capital, cette comptabilisation pouvant permettre à la société de constater fiscalement une éventuelle perte de valeur, dans l’hypothèse où ces titres auraient finalement vocation à être annulés.