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22/03/2021

Newsletter Droit des sociétés, fusions & acquisitions – Mars 2021


LBO : responsabilité des dirigeants pour distribution fautive des dividendes et soutien abusif à une filiale

Cass. Com. 9 septembre 2020, n°18-12444

FAITS : Un fonds d’investissement acquiert des titres d’une société cible par l’intermédiaire d’une holding créée à cet effet dans le cadre d’une opération d’achat avec effet de levier. Trois ans plus tard, la société rachetée est mise en redressement puis en liquidation judiciaire et trois de ses dirigeants sont poursuivis en responsabilité pour insuffisance d’actif. Il leur est reproché d’avoir commis des fautes de gestion notamment en raison du versement de dividendes à la holding par la société alors que la situation de trésorerie de la société était dégradée et d’avoir apporté un soutien financier abusif à l’une de ses filiales.

ANALYSE :

  1. Concernant la distribution fautive des dividendes :

L’un des dirigeants estime que les distributions de dividende ne sont pas fautives car elles sont liées à l’opération de LBO qui implique, selon les termes mêmes des juges du fond, « le remboursement de la dette d’acquisition […] par les dividendes versés par la société reprise à la holding qui en détient le contrôle ». Néanmoins, la Cour de cassation juge que la décision de verser les dividendes doit être prise au regard de la situation de l’entreprise et de sa trésorerie, quand bien même ces dividendes devraient être affectés dans le cadre d’une opération de LBO.

Par ailleurs, les deux autres dirigeants contestent l’existence d’un lien de causalité entre les distributions de dividendes et l’insuffisance d’actif de la société, dans la mesure où l’insuffisance d’actif a été constaté bien plus tard. Toutefois, la Cour de cassation considère qu’il était indifférent que la faute reprochée soit antérieure de trois ans à la constatation de l’insuffisance d’actif de la société. Le lien de causalité est caractérisé, car les distributions de dividendes ont privé la société de réserves anciennes qui auraient pu être affectées en 2009 au règlement des dettes échues.

Ainsi, dans cet arrêt la Cour de cassation rappelle que la distribution de dividendes doit être conforme à l’intérêt social et qu’il est nécessaire de tenir compte « de la situation de l’entreprise et de sa trésorerie ». Le montage du LBO, imposant à la cible le versement de dividendes, ne justifie pas que les dirigeants soient déchargés de leur responsabilité.

  1. Concernant le soutien abusif de la société à la filiale :

Selon les dirigeants, ils n’étaient pas responsables du soutien financier apporté à la filiale de la société, car toutes les décisions concernant cette filiale avaient été prises par le comité de direction de la société dont ils n’avaient jamais fait partie.

La Cour de cassation rejette cette argumentation en s’appuyant sur un procès-verbal de réunion du conseil d’administration de la holding. Ces documents faisaient ressortir que ses administrateurs, au rang desquels figuraient les deux dirigeants de la société poursuivis, avaient été informés de la création de la filiale et des pertes de celles-ci qui avaient été intégralement supportées par la société au moyen d’avances en compte courant, ce que ne pouvaient pas ignorer les dirigeants.

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que les dirigeants peuvent engager leur responsabilité, dans le cadre d’un LBO, si une société acquise verse des dividendes au détriment de la situation de l’entreprise et de sa trésorerie ou si la société acquise soutient abusivement une filiale.


L’asymétrie de l’opposabilité des clauses statutaires limitatives de pouvoirs des dirigeants

Il existe une véritable asymétrie sur l’opposabilité des clauses statutaires limitatives de pouvoirs des dirigeants de sociétés.

En effet, si l’inopposabilité aux tiers des clauses statutaires limitatives de pouvoirs des dirigeants est un principe en droit des sociétés (Code de commerce, articles L225-56 et L225-66 pour les SA ; L227-6 pour les SAS ; L223-18 pour les SARL), leur opposabilité par les tiers est ponctuellement reconnue en jurisprudence. L’enjeu de cette opposabilité est de permettre aux tiers d’invoquer le dépassement de pouvoirs du dirigeant pour contester l’acte accompli en violation d’une telle clause.

Deux étapes sont nécessaires pour déterminer l’opposabilité de telles clauses à la société :  

  1. Quelles clauses limitatives de pouvoirs sont opposables à la société par les tiers ?

Les dirigeants sont généralement investis de deux types de pouvoirs : un pouvoir de gestion dans l’ordre interne et un pouvoir de représentation de la société dans l’ordre externe.

S’agissant des pouvoirs de gestion interne des dirigeants, la jurisprudence française semble réticente à admettre l’opposabilité par les tiers de la clause statutaire limitative de ces pouvoirs.

A titre d’exemple, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, une banque a déclaré sa créance à la procédure collective. Le débiteur conteste cette déclaration au motif que la prorogation de la société créancière a été réalisée en violation d’une clause statutaire qui instaurait une procédure particulière et qu’ainsi le créancier dépourvu de personnalité morale ne pouvait poursuivre l’instance. La Cour de cassation a affirmé que « la clause statutaire organisant les modalités de prorogation de la société ne peut être invoquée par les tiers ». Cette clause relève d’une organisation interne à la société édictée dans l’intérêt des associés et non des tiers (Com. 30 juin 2015, n°14-17649).

S’agissant des pouvoirs de représentation des dirigeants, la jurisprudence semble en revanche disposée à admettre l’opposabilité par les tiers des clauses statutaires limitatives de ces pouvoirs.

A titre d’exemple, la cour de cassation a reconnu la possibilité pour les tiers d’opposer à la société une clause limitative de pouvoirs des dirigeants pour justifier de leur défaut de pouvoir de représenter la société dans un litige (Com. 14 février 2018, n°16-21077 ; Civ. 2ème 23 octobre 1985, n°83-12007).

  1. Quels types d’acte sont contestables par les tiers ?

A ce jour, seule la contestation des actes unilatéraux dont les tiers sont destinataires a été admise en jurisprudence sur le fondement de la violation d’une clause statutaire limitative de pouvoirs de représentation du dirigeant (action en justice, licenciement et congé).

Il convient donc de porter une attention particulière (i) sur la rédaction des statuts, (ii) sur la nature des clauses limitatives de pouvoirs pouvant être opposées et (iii) sur les types d’actes pouvant être contestés sur le fondement du dépassement de pouvoirs par le dirigeant.


Abus de majorité et mise en réserves systématique des bénéfices

Cass. Com, 4 novembre 2020, n°18-20409

FAITS : Quatre frères sont associés d’une SARL. Un des frères détient 40% du capital et les trois autres détiennent 20% chacun. Les associés sont également salariés de la société.

De 2010 à 2016, les bénéfices de la société ont été systématiquement affectés en réserves au cours des assemblées générales. L’un des frères, M. BA, a reproché à ses autres associés cette affectation systématique des bénéfices en réserves dans la mesure où cette affectation l’a privé de tout droit à percevoir des dividendes alors même que la rémunération des associés a augmenté et a ainsi décidé de les assigner, ainsi que la société, en paiement de dommages et intérêts pour abus de majorité.

PROCEDURE : La Cour d’appel a rejeté la demande de M. BA et n’a pas caractérisé, en l’espèce, l’abus de majorité. La Cour d’appel a d’abord rappelé que l’abus de majorité est caractérisé (i) lorsque la décision d’assemblée générale contestée est contraire à l’intérêt social et (ii) qu’elle a pour but de favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires. Puis, elle a relevé que la société a contracté un emprunt de 1,7 millions d’euros sur quinze ans afin d’entreprendre des travaux de construction d’une centrale d’assainissement et que M. BA n’a pas contesté le grand intérêt de cet investissement. La Cour d’appel a retenu ensuite qu’il était nécessaire que la société mette en réserve ses bénéfices afin d’assurer à celle-ci une « capacité de remboursement sûre et durable » et qu’il était ainsi de « bonne et prudente gestion de continuer à mettre en réserve les bénéfices ».

La Cour de cassation a repris le raisonnement de la Cour d’appel en tout point et a jugé que l’abus de majorité allégué n’était pas constitué en l’espèce.

ANALYSE :

Cet arrêt de la Cour de cassation rappelle la définition classique de l’abus de majorité et s’inscrit ainsi dans un courant jurisprudentiel démontrant que la notion d’abus de majorité reste un outil pour les juges leur permettant de régir les rapports entre associés.

Par ailleurs, cet arrêt pose la question de la pérennité de cette jurisprudence au regard de la nouvelle rédaction des articles 1833 (relatif à l’objet et à l’intérêt de la société) et 1844-10 (relatif aux causes de nullité en droit des sociétés) du Code civil issue de la loi Pacte du 22 mai 2019. En effet, certains auteurs, comme Couret et Dondero, considèrent que la jurisprudence sur l’abus du droit de vote va être perturbée par ces nouveaux textes.