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14/11/2023

Droit rural / Nullité du droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) pour défaut de motivation

La Cour de cassation a rendu le 7 septembre 2023, un arrêt portant sur l’exigence de motivation d’une décision de préemption de la SAFER (Cass. Civ. 3ème du 7 septembre 2023, n°21-21.445). 

En l’espèce, une parcelle située en bord de mer, enclavée entre deux exploitations contiguës, était en cours de cession à une société ostréicole exploitant l’une des deux exploitations.  

La SAFER de Bretagne a exercé son droit de préemption sur cette parcelle en faisant valoir que plusieurs autres exploitants pouvaient être intéressés par celle-ci.  

Le cessionnaire évincé a alors agi en annulation de cette décision de préemption sur le fondement de l’article L.143-3 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), considérant que cette décision n’était pas valablement justifiée et motivée.  

L’article L.143-3 du CRPM prévoit en effet qu’« A peine de nullité, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l’un ou à plusieurs des objectifs [définis à l’article L.143-2 du CRPM tels que l’installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs, la sauvegarde du caractère familial de l’exploitation…], et la porter à la connaissance des intéressés. ». 

Afin de contester l’arrêt de la Cour d’appel ayant annulé la décision de préemption, la SAFER soutenait notamment: 

  • qu’elle n’avait procédé à aucun détournement de pouvoir, l’engagement ferme et définitif de la SAFER à l’égard du rétrocessionnaire potentiel identifiable n’étant pas caractérisé, l’acquéreur évincé pouvant en tout état de cause présenter une candidature pour obtenir la rétrocession de la parcelle et d’autres candidatures étant susceptibles de se manifester ; 
  • qu’elle n’a pas à motiver dans sa décision de préemption en quoi l’acquéreur évincé ne répondrait pas à l’objectif allégué ; 
  • que le contrôle juridictionnel de ses décisions ne peut porter que sur leur légalité et régularité et non sur leur opportunité ; 
  • qu’elle n’a pas exercé ses prérogatives dans l’intérêt particulier d’un agriculteur déterminé à l’avance ou a cherché à favoriser un agriculteur au détriment d’un autre.  

La Cour de cassation rejette le pourvoi de la SAFER et retient que la Cour d’appel a justement considéré : 

  • qu’au regard de la configuration des lieux, il n’y avait que deux sociétés susceptibles d’être intéressées par l’acquisition de la parcelle préemptée, à savoir le cessionnaire évincé et la société exploitant la parcelle contiguë, de sorte que la motivation de la décision de préemption faisant référence à d’autres cessionnaires potentiels était illusoire ; 
  • que la SAFER n’avait pas préempté la parcelle pour la rétrocéder au cessionnaire évincé de sorte que le seul rétrocessionnaire possible était l’autre société dont la SAFER avait faussement retenu qu’elle était spécialisée en production ostréicole 

La Cour de Cassation confirme ainsi que la motivation développée par la SAFER n’était pas réelle car elle ne visait qu’à dissimuler la perspective de privilégier un exploitant au détriment d’un autre.  

La Cour confirme donc l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes et annule la décision de préemption de la SAFER.