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19/05/2023

Un pacte d’actionnaires conclu pour la durée de vie de la société est un contrat à durée déterminée

Cass. 1e civ., 25 janvier 2023, n°19-25.478

Un père et ses cinq enfants ont signé un pacte d’actionnaires le 30 janvier 2010 applicable à une holding familiale sous forme de SAS. Le pacte d’actionnaires avait vocation à permettre à la SAS de rester sous le contrôle de la famille après le décès du père, fondateur de la société.

L’article 10 du pacte d’actionnaires liait la durée de ce contrat sur celle de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu’à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS). La SAS avait été immatriculée au RCS le 24 janvier 1969, ce qui revenait à fixer la durée du pacte à 58 ans. Le pacte prévoyait en outre que, au terme de cette première période, il sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée, et qu’à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne.

Par lettre du 23 février 2017, le père fondateur de la SAS et un des enfants ont notifié aux autres actionnaires la résolution unilatérale du pacte d’actionnaires à la suite d’un désaccord intervenu avec l’un des 5 enfants. Ils considéraient que le pacte d’actionnaires avait été conclu pour une durée indéterminée.

Pour rappel, les règles de droit applicables à la durée des contrats sont fixées aux articles 1210 à 1215 du Code civil et s’appliquent aux pactes d’actionnaires :

– soit le contrat est à durée indéterminée : chaque partie peut y mettre fin, à tout moment, sous réserve de respecter un délai de préavis,

– soit le contrat est conclu à durée déterminée : chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme.

L’enfant concerné par le désaccord a assigné son père et la SAS, afin qu’il soit jugé que la résolution du pacte avait été mise en œuvre de manière abusive et qu’elle était irrégulière et inefficace.

La Cour d’appel reprend l’argumentation du père fondateur de la SAS, et estime que « la première période de ce pacte expirera le 24 janvier 2068, et qu’en respectant ces dispositions, les descendants ne pourront sortir du pacte qu’à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment »

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa :

  • de l’ancien article 1134, alinéa 1er, du Code de civil (repris à l’article 1103 nouveau du Code civil depuis  l’ordonnance du 10 février 2016), prévoyant que les contrats ou conventions légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, et
  • de l’article 1838 du Code civil, prévoyant que la durée de la société ne peut excéder 99 ans.

Selon elle, il résulte de la combinaison desdits articles que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’actionnaires pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.