Le Conseil d’État juge que la rémunération indirecte d’un dirigeant au travers d’une société prestataire de services ayant conclu une convention de management n’est pas un acte anormal de gestion
Est communément appelée « convention de management », la convention conclue entre deux sociétés par laquelle la première rend des prestations de services à la seconde, portant sur la gestion et la direction de cette dernière. En d’autres termes, il s’agit pour la société bénéficiaire d’externaliser ses fonctions de direction à une autre société qu’elle rémunère à cette fin.
Pour comprendre l’enjeu fiscal derrière les faits objets du litige, il convient d’insister sur la nature de ces fonctions. L’objet du litige était de trancher la validité des conventions portant sur des prestations de services inhérentes au mandat social et, par principe, déjà réalisées par le dirigeant en place. Ainsi que le souligne le rapporteur public, les conventions qui, à l’inverse, portent sur des services « techniques » qui ne relèvent pas par nature des fonctions de mandataires sociaux, ne soulèvent pas de problématiques fiscales spécifiques.
Sur le plan juridique, d’une part, ce schéma est loin d’être approuvé par le droit positif, comme en témoigne les décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation qui, sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats de 2016, déclarent ces conventions de management nulle pour défaut de cause (Cass, com., 14 septembre 2010, n°09-16.084 et Cass, 23 octobre 2012, n°11-23.376).
Sur le plan fiscal, d’autre part, la question de la conformité de ce schéma aux règles du droit fiscal est posée devant le Conseil d’Etat de manière inédite. En effet, si plusieurs cours administratives d’appel ont eu à trancher ce point – majoritairement pour remettre en cause la validité de telles conventions –, la haute juridiction administrative l’a fait pour la première fois le 4 octobre dernier.
La question posée au Conseil d’État était de savoir si ces conventions de management tombaient sous le coup de l’acte anormal de gestion. Pour rappel, constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une société décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt (CE, plen., 21 décembre 2018, Société Croë Suisse, n° 402006).
L’approche juridique de certaines cours administratives d’appel, que le rapporteur public Emilie Bokdam-Tognetti qualifie de « rigoureuse, voire rigoriste », consiste à affirmer, d’une part, que ces conventions de management ne peuvent relever d’une gestion normale dans la mesure où les services rendus au titre de cette convention sont ceux que le dirigeant doit fournir au titre de son mandat social et, d’autre part, que l’absence de versement d’un salaire au dirigeant ne remet pas en cause cette solution dans la mesure où il s’agit d’une décision de gestion (CAA Nancy, 9 octobre 2003, SA Gamlor, n°98NC02182 et CAA Paris, 6 novembre 2019, Sté Self Media, n°18PA02628).
A rebours de ces décisions, le Conseil d’Etat rejette la qualification d’acte anormal de gestion dans un arrêt du 4 octobre 2023 (CE, 9e et 10e ch réunies, 4 octobre 2023, n°466887).
Dans le cas d’espèce, le gérant de la SARL Collectivision était initialement rémunéré directement par celle-ci au titre de son mandat social. A partir de 2012, la SARL cesse de lui verser cette rémunération et conclut un contrat de prestation de services avec une seconde société, dont le gérant de la SARL Collectivision est l’associé unique et le président. Dès lors, la SARL Collectivision ne verse plus de rémunération à son gérant mais un honoraire à la société prestataire au titre de la mise à disposition de l’intéressé pour effectuer des fonctions de gestion et de direction.
L’administration fiscale a remis en cause la déductibilité des honoraires dans les comptes de la SARL Collectivision au motif que la convention conclue par celle-ci avec la seconde société faisait double emploi avec les fonctions de gérance exercées par l’intéressé et constitue, dès lors, un acte anormal de gestion.
Le Conseil d’Etat annule pour erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille qui valide la position de l’administration fiscale. En effet, la seule circonstance que les prestations portent sur des fonctions qui auraient en principe dû être exercées en interne par le dirigeant de droit ne suffit pas à conclure à la commission d’un acte anormal de gestion dès lors que n’est pas caractérisé un appauvrissement de la société à des fins étrangères à son intérêts.
La validité d’un tel schéma au regard de l’impôt sur les sociétés n’est cependant pas garantie : elle nécessite a minima que la convention de prestation de services soit validée par les organes compétents en matière de rémunération du mandataire social – la société devant par ailleurs prouver que lesdits organes avaient conscience du fait que la convention portait sur des services inhérents aux fonctions du mandataire social –, que la société prestataire exécute effectivement les prestations prévues au contrat et que les honoraires perçus ne soient pas excessifs au regard du service rendu (en tenant compte, le cas échéant, de la rémunération versée par ailleurs au dirigeant). Dès lors et en application de cette décision inédite du Conseil d’Etat, l’administration fiscale ne saurait rejeter la déductibilité des honoraires sur le terrain de l’acte anormal de gestion.
Toutefois, gare aux raccourcis hâtifs. Certes, l’administration fiscale a soulevé, infructueusement, le moyen de l’acte anormal de gestion mais cela ne signifie pas que ce schéma est exempt de tout risque.
Sur le plan purement fiscal, et comme le soulève le rapporteur public, la question de la requalification de ces honoraires – et/ou des dividendes versés au dirigeant par la société prestataire – en salaires reste intacte et peut soulever des problématiques en matière de TVA.
Sur le plan social, ce schéma peut également être critiquable dans la mesure où il peut être perçu comme une modalité de contournement des charges sociales sur la rémunération du dirigeant, soit en les éludant complètement, soit en lui permettant de bénéficier d’un régime social plus favorable.
Enfin, sur le plan du droit des sociétés et du droit des contrats, l’arrêt du Conseil d’Etat ne permet pas de prémunir les conventions de management contre le risque d’annulation auquel la jurisprudence de la Cour de cassation les expose.