Action en requalification des contrats de mission en CDI : attention aux différents délais de prescription applicables

(Cass. soc., 24 avr. 2024, n°23-11.82)
Si l’action en requalification de contrats de mission successifs en contrat à durée indéterminée (CDI) est soumise à la prescription biennale, les demandes indemnitaires qu’elle recèle, obéissent à différentes prescriptions déterminées en fonction de l’objet des demandes.
En l’espèce, un salarié engagé par trois contrats de mission entre mars 2017 et avril 2017 (dans la même entreprise utilisatrice) a saisi la juridiction prud’homale le 7 février 2019 afin d’obtenir :
– d’une part, la requalification de ses différents contrats de mission en CDI en l’absence d’écrit les formalisant et,
– d’autre part, des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et le paiement d’une indemnité de préavis assortie des congés payés afférents.
S’il a été fait droit à sa demande de requalification, ses demandes indemnitaires ont été rejetées comme étant prescrites.
Bref rappel des délais de prescriptions applicables : depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit alors que les actions portant sur la rupture du contrat de travail se prescrivent par 12 mois à compter de la notification de la rupture.
S’agissant de l’application de ces dispositions dans le temps, l’article 40, II de l’ordonnance précitée précise, d’une part, que ces dispositions s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de l’ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure et, d’autre part, que, lorsqu’une instance a été introduite avant la publication de l’ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne, y compris en appel et cassation.
À l’appui de son pourvoi, le salarié faisait valoir que l’action en requalification de contrats de mission en CDI obéissant à la prescription biennale, les demandes au titre des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse ou nul, qui naissent au jour de la requalification, devaient être soumises à la même règle que l’action en requalification.
L’avocat général avait souligné dans son avis, que les conséquences indemnitaires de la requalification des contrats de missions étaient susceptibles de relever de 3 délais de prescription concurrents, au regard de la date de rupture de la relation de travail survenue le 14 avril 2017 :
– celui de l’article L 1471-1 du Code du travail qui était, sous l’empire de la loi en vigueur du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017 au moment de cette rupture, de 2 ans pour toute action portant aussi bien sur l’exécution que sur la rupture du contrat de travail ;
– le délai d’un an concernant les actions en matière de rupture du contrat de travail inscrit à l’article L 1471-1, alinéa 2 du même Code depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017 et susceptible de s’appliquer par le jeu des dispositions transitoires ;
– le délai de 3 ans applicable à la répétition des créances salariales (C. trav. art. L 3245-1).
Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle conformément à sa jurisprudence que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée. Partant, la Haute juridiction fait une application distributive des règles de prescription, et juge que, la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement de dommages-intérêts en raison d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrats de mission en CDI, est soumise à la prescription de l’article L.1471-1 du code du travail se rapportant à la rupture du contrat de travail.
En l’espèce, compte tenu des dispositions transitoires de l’ordonnance du 22 septembre 2017, le délai de prescription d’un an applicable à la demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif, qui avait commencé à courir le 14 avril 2017 (au départ pour deux années), s’est donc écoulé jusqu’au 23 septembre 2017, date de publication de l’ordonnance, puis s’est prolongé pour une année (nouveau délai d’un an issu de l’ordonnance) pour s’achever le 23 septembre 2018, cette durée totale n’excédant pas la durée initiale de 2 ans applicable antérieurement à la réforme. Dans ces conditions, le salarié ayant saisi la juridiction prud’homale le 7 février 2019, l’action était prescrite.
En revanche, et s’agissant des demandes indemnitaires afférentes au préavis et congés payés s’y rapportant, la Haute juridiction considère que la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l’action en paiement une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, qui a la nature de créance salariale, est soumise à la prescription triennale prévue par l’article L.3245-1 du code du travail.
En l’espèce, le délai de 3 ans ayant couru à compter du 14 avril 2017 (date de la rupture de la relation de travail), pour s’achever le 14 avril 2020, la demande en paiement de l’indemnité et des congés payés afférents formulés antérieurement (le 7 février 2019) était recevable.