Gare à la déloyauté en matière de saisie-contrefaçon !
Tribunal Judiciaire de Paris, 10 janvier 2020
Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle qui veut rapporter la preuve de l’existence d’actes contrefaisants peut obtenir sur requête, c’est-à-dire hors la présence du présumé contrefacteur, l’autorisation de faire procéder à une saisie-contrefaçon sous la seule condition légale de justifier de l’existence du droit qu’il invoque et de sa propriété sur ce droit.
Cette procédure, en ce qu’elle est exorbitante de droit commun, impose au requérant de faire preuve de transparence et de loyauté dans la motivation de sa requête.
La jurisprudence considère que l’exigence de loyauté s’entend de l’obligation pour le requérant de faire preuve d’objectivité dans son exposé des faits et de ne pas omettre de relater certains faits susceptibles d’influencer la décision du juge.
Le juge saisi d’une demande de rétractation de l’ordonnance de saisie-contrefaçon doit quant à lui procéder à une appréciation des faits tels qu’ils ont été soumis par le requérant pour se prononcer sur le point de savoir si l’ordonnance aurait été rendue dans les mêmes termes si ces faits avaient été soumis à un débat contradictoire. Si tel n’est pas le cas, l’ordonnance encourt la rétractation.
C’est à l’aune de cette exigence que le Tribunal judiciaire de Paris a, le 10 janvier 2020, rétracté une ordonnance de saisie contrefaçon rendue en matière de brevet en raison d’une présentation (volontairement ou pas) erronée de l’apport d’un document rédigé en langue anglaise en lien avec la contrefaçon alléguée.
Les faits étaient les suivants :
Une société spécialisée dans la recherche et le développement de tests de diagnostics utilisant des biomarqueurs, est titulaire d’un brevet européen portant sur un calibrateur ou étalon se présentant sous la forme d’une solution d’étalonnage contenant une combinaison spécifique d’inhibiteur de protéase, laquelle est utilisée pour régler une machine destinée à doser la procalcitonine d’un patient (protéine dont le dosage permet notamment de déterminer l’origine infectieuse d’une pathologie).
Soupçonnant deux sociétés de porter atteinte à ses droits par la fabrication et la commercialisation d’un kit de calibration, le titulaire du brevet a obtenu deux ordonnances lui permettant de diligenter des saisies-contrefaçon auprès de ces présumés contrefacteurs, lesquels ont saisi à leur tour, après la saisie-contrefaçon dont ils ont fait l’objet, le juge d’une demande de rétractation des ordonnances ayant autorisé ces mesures.
Le juge de la rétractation va faire droit à cette demande pour les raisons ci-après exposées :
Le juge précise tout d’abord que bien que non exigé par les textes, il appartient au titulaire du droit de propriété intellectuelle de motiver suffisamment sa requête en exposant les éléments le conduisant à supposer l’existence d’une atteinte que la mesure sollicitée a vocation à établir.
Il précise ensuite que le demandeur à la saisie doit faire une présentation fidèle des faits motivant sa requête, afin que le juge se trouve en mesure d’exercer un contrôle de proportionnalité, vu le caractère exorbitant de la saisie-contrefaçon.
Il retient enfin, dans l’analyse des faits et pièces produites à l’appui de la requête aux fins de saisie-contrefaçon, que le titulaire du brevet a justifié de la vraisemblance de la contrefaçon par une présentation ambiguë d’une caractéristique technique figurant dans une brochure en langue anglaise, dont le sens serait en réalité différent de celui présenté dans la requête aux fins de saisie.
Il en conclut que le demandeur a procédé à une présentation déloyale des faits allégués au soutien des mesures de saisie-contrefaçon sollicitées « en entretenant une ambiguïté entre la stabilité des calibrateurs et la stabilité de l’étalonnage pour donner à croire à la présence d’inhibiteurs de protéases caractérisant la revendication 1 du brevet EP 506 ».
Le juge ordonne en conséquence la rétractation des ordonnances ayant autorisé les saisies-contrefaçon et la restitution de toutes les pièces saisies.
Une telle décision incite à la plus grande prudence dans la préparation des demandes aux fins de saisie-contrefaçon, tout particulièrement en matière de brevet. Dès lors que les juges souhaitent que leur soient présentés dans la requête des éléments justifiant de la contrefaçon alléguée, toute présentation de l’objet et de la portée du brevet d’une part, et du dispositif prétendument contrefaisant d’autre part, doit être réalisée avec la plus grande vigilance.
Malgré cela, on ne peut être à l’abri d’interprétations divergentes de caractéristiques techniques, lesquelles ne relèvent pas nécessairement de la déloyauté et d’un débat devant le juge de la rétractation, mais d’une vraie discussion devant les juges du fond.
Au surplus, maintenant que les textes en matière de secret des affaires permettent facilement de préserver les droits du saisi, une telle décision apparait extrêmement sévère pour les titulaires de droits. S’agit-il d’une décision de circonstance ou contenant un enseignement plus général, l’avenir nous le dira…