05/02/2019

Le juste motif n’est pas pris en compte dans l’appréciation du profit indument tiré de la renommée d’une marque

Com, 10 juillet 2018, n°16-23694

La chambre commerciale de la cour de cassation, dans un arrêt en date du 10 juillet 2018, apporte des éclaircissements quant à la prise en compte du juste motif pour l’appréciation du profit indument tiré de la renommée d’une marque.

Les membres de la famille Taittinger, regroupés au sein de la holding Groupe Taittinger commercialisant du champagne sous une marque éponyme, ont cédé leurs parts sociales en 2002 à la filiale Taittinger CCVS titulaire de la marque française TAITTINGER déposée par la société Taittinger le 16 janvier 1968. L’acte de cession des titres, signé le 21 juillet 2005, stipulait que la famille Taittinger s’engage à ne pas faire usage du nom « Taittinger » que ce soit à titre de marque, de nom commercial, de nom de domaine pour désigner ou promouvoir des produits en concurrence avec l’activité cédée.

Or l’un des membres de la famille a déposé la marque verbale française VIRGINIE T pour désigner des produits en classes 21, 29, 30, 32 et 33 dont le Champagne et a utilisé un site internet et a réservé des noms de domaine contenant le nom « Taittinger ».

La société Taittinger CVC a assigné la titulaire de la marque VIRGINIE T en violation de la convention de cession de ses titres, atteinte à sa marque renommée ainsi qu’en parasitisme et concurrence déloyale.

La Cour d’appel rejette les demandes relatives à l’atteinte de la marque renommée, dans un arrêt en date du 1er juillet 2016, et retient que la renommée de la marque TAITTINGER n’est pas contestée mais le titulaire de la marque VIRGINIE T  « ne tirait aucun profit de la renommée de ladite marque, ni ne portait préjudice à sa valeur distinctive ou à sa renommée en rappelant son origine familiale (que son nom suffisait à identifier), son parcours professionnel ou son expérience passée, même agrémentés de photographies ».

La question qui se posait était donc de savoir si le juste motif est pris en compte dans l’appréciation du profit indûment tiré de la renommée d’une marque.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle au motif que  « l’existence éventuelle d’un juste motif à l’usage du signe n’entre pas en compte dans l’appréciation du profit indûment tiré de la renommée de la marque, mais doit être appréciée séparément, une fois l’atteinte caractérisée ».

En effet,  l’article L.713-5 du code de propriété intellectuelle dispose que : «  la reproduction ou l’imitation d’une marque renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ».

La Cour de cassation précise ici que la lecture de l’article L.713-5, à la lumière de la directive européenne du 21 décembre 1999, doit se faire en deux étapes : le titulaire de la marque renommée doit, dans un premier temps, démontrer l’existence d’un profit indûment tiré de la renommée de la marque puis, dans un deuxième temps, le tiers ayant fait l’usage de la marque renommée doit établir que l’usage de cette marque a un juste motif.

En outre, l’exception de juste motif n’est pas un élément d’appréciation de l’atteinte à une marque renommée mais une cause d’exonération de responsabilité qui ne s’applique qu’une fois l’atteinte caractérisée.