14/09/2019

Quelles seraient les conséquences fiscales d’un Brexit dur au 31 octobre 2019 ?

Malgré le vote par le parlement britannique du « EU withdrawal 6 Bill » au début du mois de septembre, qui exclut catégoriquement la possibilité d’une sortie sans accord de l’Union Européenne (« UE ») et prévoit la possibilité d’un nouveau report du Brexit au 31 janvier 2020, Boris Johnson et de son gouvernement ont répété leur détermination à mettre le Brexit à exécution au plus tard le 31 octobre, avec ou sans accord.

Dans ce contexte et en dépit des appels à la négociation provenant du Royaume-Uni et de plusieurs Etats membres, l’hypothèse de voir se réaliser un Brexit dur et imminent semble être désormais la plus probable.

Or, au plan fiscal un tel évènement serait loin d’être neutre et notamment pour les entreprises françaises et britanniques entretenant des relations commerciales ou financières. Les principales incidences fiscales d’un Brexit dur pour ces entreprises seraient les suivantes :

 – TVA : Le Royaume-Uni sera désormais considéré comme un Etat tiers : les ventes de produits et services par des entreprises françaises à des entreprises localisées au Royaume-Uni seront traitées comme des exportations et non plus comme des livraisons intracommunautaires. De même, les achats de produits et services seront considérés comme des importations. Cela ne modifiera pas fondamentalement les règles en matière de collecte de TVA (les exportations sont exonérées de TVA et les importations peuvent, sous certaines conditions, donner lieu à autoliquidation) mais, à la différence des opérations réalisées intra-UE, ces opérations nécessiteront le dépôt de déclarations spécifiques auprès de l’administration des douanes et droits indirects au moment de l’importation ou de l’exportation des biens. Les règles en matière de remboursement de TVA seront également modifiées : toute nouvelle demande de remboursement de TVA britannique par une entreprise française intervenue après le Brexit devra être gérée directement avec l’administration fiscale britannique, et vice-versa pour les demandes de remboursement de TVA française émises par des sociétés britanniques (avec l’obligation de désigner un représentant fiscal en France).

 – Intégration fiscale : A compter du premier exercice post-Brexit, les filiales françaises détenues par une société française tête d’intégration fiscale au travers de sociétés britanniques ne pourront plus faire partie d’un groupe d’intégration fiscale. De même, il ne sera plus possible de constituer ou de maintenir des groupes d’intégration fiscale horizontaux ayant une société britannique comme tête de groupe. En effet, seules les sociétés établies dans un Etat membre de l’UE ou de l’Espace Economique Européen (« EEE ») sont admises à être des entités étrangères interposées dans un groupe fiscalement intégré ou des têtes de groupes intégrés horizontaux.

 – Régime-mère fille : En règle générale les distributions de dividendes opérées par des sociétés étrangères détenues à 5% au moins par une société mère française sont imposées en France sur 5% de leur montant. Par exception, elles sont imposables sur 1% de leur montant seulement lorsque leur capital est détenu à plus de 95% par la société mère française, sous réserve du respect de quelques conditions parmi lesquelles la localisation de la filiale au sein de l’UE ou d’un Etat de l’EEE ayant conclu avec la France une convention fiscale d’assistance administrative. A compter du Brexit, les dividendes versés par des filiales britanniques ne bénéficieront plus de cette exception ; ils seront imposables à hauteur de 5 % de leur montant si les conditions du régime mère-fille sont satisfaites et pour l’intégralité de leur montant dans les autres cas.

 – Retenues à la source : les dividendes versés par des sociétés françaises à des sociétés britanniques qui détiennent au moins 10% de leur capital (voire 5% du capital si la société mère anglaise ne peut imputer la retenue à la source sur son impôt sur les sociétés), sont actuellement exonérées de retenue à la source. Après le Brexit, seuls les dividendes versés à des sociétés mères détenant au moins 10% de la filiale française versante demeureront exonérés de retenue à la source. Les autres dividendes seront soumis à une retenue à la source d’un montant maximum de 15% (notamment donc ceux versés par des sociétés françaises à des sociétés britanniques qui détiennent entre 5 et 10% de leur capital). Les dividendes versés par des sociétés britanniques à des sociétés françaises ne font aujourd’hui l’objet d’aucune retenue à la source au Royaume-Uni. En cas d’instauration d’une retenue à la source à l’avenir, celle-ci sera fera l’objet des mêmes exonération et limitation que celles visées ci-dessus.

Les intérêts et redevances, quel que soit le sens du versement, sont quant à eux exonérés de retenues à la source par les articles 12 et 13 de la convention fiscale franco-britannique. Le Brexit n’aura aucune incidence en la matière.

De même, les bénéfices des établissements stables français de sociétés britanniques ne seront pas soumis à la « Branch tax ». En effet, le Brexit ne permettra plus aux sociétés britanniques de se placer sous  l’exonération réservée aux sociétés établies dans l’UE mais l’application de la Branch tax est en tout état de cause écartée par les dispositions de l’article 11.4 de la convention franco-britannique.

Les conséquences fiscales d’un Brexit sans accord ne se limiteraient du reste pas aux entreprises ; un tel scenario aurait également des conséquences fiscales significatives pour les particuliers :

 – Prélèvements sociaux : A compter du 1erjanvier 2019, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoit que les personnes qui relèvent d’un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre de l’EEE ou de la Suisse sont exonérées de CSG et de CRDS sur les revenus du patrimoine et les produits de placement et ne sont redevables que du prélèvement de solidarité au taux de 7,5 %. En l’absence de ratification de l’accord général de sortie par le Royaume-Uni, ni ce dispositif, ni le règlement européen (CE) n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ne pourra s’appliquer aux redevables britanniques et ces derniers seront soumis à l’ensemble des prélèvements sociaux au taux de 17,2 % sur le sole français.

 – PEA : Les titres de sociétés et parts d’organismes de placement collectif britanniques acquis via un PEA avant le Brexit pourront être maintenus dans ledit PEA pour une période de 15 mois maximum à compter du Brexit, ou 21 mois dans certains cas pour les parts d’organismes de placement collectifs. Les titres de sociétés ou les parts d’organismes de placement collectif britanniques acquis après le Brexit ne seront plus éligibles au PEA ; les titres devront être soit retirés du plan, soit cédés, avec les conséquences fiscales attachées.

 – Réduction d’impôt liée à la souscription au capital de PME : les particuliers souhaitant souscrire au capital de PME situées dans un Etat membre de l’UE peuvent sous certaines conditions bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu. Cette incitation à l’investissement n’englobera plus les sociétés britanniques à compter du Brexit : les souscriptions au capital de PME britanniques ne donneront plus lieu à aucune réduction d’impôt.

 – Réduction d’impôt liée à des dons opérés au profit d’associations britanniques : les dons opérés au profit d’organismes sans but lucratif britanniques ne permettront plus de bénéficier des réductions d’impôt sur le revenu ni d’impôt sur la fortune immobilière.

Conclusion : En dépit de quelques mesures transitoires visant à amortir ses effets lors de l’exercice de sa réalisation, un Brexit dur aurait de nombreuses conséquences préjudiciables pour les entreprises françaises et britanniques qui conserveront des liens capitalistiques ou commerciaux postérieurement à sa réalisation ainsi que pour les particuliers investissant à titre lucratif ou non dans des sociétés ou organismes britanniques : pertes d’exonération, sorties de régimes fiscaux de faveur, formalités supplémentaires etc.

Bien que peu probable, la perspective de parvenir à un accord n’est pas totalement exclue et les plus optimistes retiendront par exemple que la plupart des incidences fiscales néfastes listées ci-dessus (à l’exception notables de celles relatives à la TVA), ne subsisterait pas en cas d’adhésion du Royaume-Uni à l’EEE. Une sortie de l’UE fiscalement neutre (hors TVA) reste donc théoriquement possible. Mais l’hypothèse d’une adhésion à l’EEE semble cependant irréaliste car elle imposerait au Royaume-Uni d’accepter au moins en partie la législation européenne, de verser une contribution financière au marché commun et d’accepter la compétence de la Cour de Justice de l’Union européenne. Autant de contraintes qui semblent aujourd’hui à des années lumières de la position du gouvernement Johnson…

Avant Brexit Post Brexit
Dividendes versés par une société UK à une société FR §  Pas de Retenue A la Source (« RAS ») au UK à ce jour.

§  Application du régime mère-fille en France : exonération de 95% des dividendes en cas de détention d’au moins 5% de la filiale ou de 99% en cas de détention d’au moins 95%.

§  Pas de RAS. En cas d’instauration d’une RAS UK, les dividendes en seront exonérés en cas de détention = ou > à 10%. Autrement RAS limitée à 15%.

§  Exonération de 95% des dividendes au maximum.

Dividendes versés par une société FR à une société UK §  Détention de la filiale FR < à 5% : RAS de 15% sur les dividendes.

§  Détention de la filiale FR = ou > à 5 % : exonération de RAS dans certains cas.

§   Détention de la filiale FR = ou > à 10 % : exonération de RAS.

§  Détention de la filiale FR < à 10% : RAS de 15% sur les dividendes.

§  Détention de la filiale FR = ou > à 10% : exonération de RAS.

Redevances payées par une société UK à une société FR §  Pas de RAS (art. 13 Convention franco-britannique) §  Pas de RAS (art. 13 Convention franco-britannique)
Redevances payées par une société FR à une société UK §  Pas de RAS (art. 13 Convention franco-britannique) §  Pas de RAS (art. 13 Convention franco-britannique)
Intérêts payés par une société UK à une société FR §  Pas de RAS (art. 12 Convention franco-britannique) §  Pas de RAS (art. 12 Convention franco-britannique)
Intérêts payés par une société FR à une société UK §  Pas de RAS en France à ce jour. §  En cas d’instauration d’une RAS FR, exonération par l’application de l’art. 12 de la convention franco-britannique

Certaines mesures transitoires pourraient être unilatéralement édictées par le Royaume-Uni et la France, non prises en compte ici (à l’exception des quelques précisions déjà apportées par le législateur et l’administration fiscale français).

Il convient cependant de noter que des dispositions transitoires ont été adoptées dans la Loi de finances pour 2019 en vue de préserver l’intégrité des groupes d’intégration fiscale lors de l’exercice de survenance du Brexit.