Transfert de responsabilité pénale entre sociétés lors d’une opération de fusion-absorption
Cass. Crim. 25 novembre 2020, n°18-86.955
Par un arrêt opérant un revirement de jurisprudence rendu le 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu’en cas de fusion-absorption et à certaines conditions, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.
FAITS – Un incendie est intervenu dans les entrepôts de stockage d’archives d’une société qui a par la suite été absorbée.
Après l’opération de fusion-absorption, l’absorbante a été convoquée à l’audience du tribunal correctionnel. Elle a fait l’objet de plusieurs citations directes de la part de parties civiles pour chef de destruction involontaire de bien appartenant à autrui par l’effet d’un incendie provoqué par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi.
PROCEDURE – Par un jugement daté du 8 février 2018, le tribunal correctionnel a notamment ordonné un supplément d’information afin de :
- Déterminer les circonstances de l’opération de fusion-absorption
- Et rechercher tout élément relatif à la procédure en cours s’agissant de l’infraction de destruction involontaire initialement poursuivie à l’encontre de la société absorbée.
L’absorbante interjette appel de cette décision mais la cour d’appel d’Amiens la confirmera dans son arrêt rendu le 26 septembre 2018. L’appelant se pourvoit alors en cassation aux motifs notamment qu’ « en vertu de l’article 121-1 du code pénal, sont interdites les poursuites pénales à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière ait perdu son existence juridique ».
La chambre criminelle décide cependant que « la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération ». Corrélativement « la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer ».
En tout état de cause, la Cour de cassation affirme qu’une sanction pénale peut être prononcée à l’encontre de la société absorbante lorsque l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale. Dans cette hypothèse, l’opération constitue une fraude à la loi, de sorte que toutes les sociétés, quelle que soit leur forme, sont concernées et que toute peine encourue peut être prononcée.
ANALYSE – Avec cet arrêt, la chambre criminelle rompt avec sa position antérieure selon laquelle la société absorbante ne pouvait être condamnée pénalement pour un fait de la société absorbée puisque nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.
De plus, la personne morale de l’absorbée ayant disparu, cette disparition a été assimilée au décès d’une personne physique entrainant l’extinction de l’action publique.
Par ce revirement de jurisprudence, la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de la Cour de Justice de l’Union Européenne. Dans l’arrêt du 5 mars 2015 C-343/13 de la Cour de Justice de l’UE, il avait admis qu’une amende pouvait être infligée à la société absorbante pour des infractions au Code du travail commises par la société absorbée avant l’opération de fusion.
Il convient de noter que ce transfert de responsabilité pénale ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion qui entrent dans le champ de la directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes et qui sont réalisées après le 25 novembre 2020 et ce afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique. Par ailleurs, ce transfert de responsabilité ne permet que le prononcé de peines de nature patrimoniale (pécuniaires ou confiscatoires).