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01/06/2022

La liberté d’expression garantie au salarié ne fait pas systématiquement obstacle à son licenciement

Cour de cassation, chambre sociale, 20 avril 2022, n°20-10.852

Un animateur et humoriste conclut sa participation à une émission de télévision par une « blague » à caractère sexiste. Le salarié est licencié pour faute grave.

Après que son licenciement a été validé par le Conseil de prud’hommes puis par la Cour d’appel, le salarié a formé un pourvoi en cassation et demandé la nullité de son licenciement pour violation de sa liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) et par l’article L. 1121-1 du Code du travail.

La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié et confirme l’arrêt de la Cour d’appel qui avait considéré le licenciement pour faute grave du salarié justifié.

Au visa de l’article 10 de la CEDH et de de l’article L.1121-1 du Code du travail, la Cour de cassation rappelle d’abord que, si le salarié jouit de sa liberté d’expression, au sein et en dehors de l’entreprise, l’exercice de cette liberté peut être limité par des mesures nécessaires ou justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché. A ce titre, il appartient au juge de vérifier si l’ingérence de l’employeur dans l’exercice du droit à la liberté d’expression du salarié est nécessaire dans une société démocratique, ainsi que son caractère nécessaire et proportionné.

La Cour de cassation valide ensuite la méthodologie suivie par les juges du fond et l’appréciation in concreto qu’ils ont faite en l’espèce, en tenant compte des obligations contractuelles du salarié, de la qualité ou la nature de l’employeur (i.e France Télévisions), du contexte dans lequel se sont inscrits ces propos (i.e au plan médiatique et aux temps et lieu dans lesquels ils ont été tenus) et le comportement du salarié par la suite.

La Cour d’appel avait en effet retenu qu’une clause prévue dans le contrat de travail du salarié l’engageait à respecter une Charte garantissant le respect des droits de la personne sur l’antenne ou sur d’autres médias dont la violation constituerait une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail. Elle avait également pris en compte la qualité de service public de l’employeur et avait ensuite relevé le contexte actuel dans lequel ces propos avaient été tenus, en s’appuyant sur l’actualité médiatique, notamment les mouvements « #metoo » et « #balancetonporc ». Elle avait enfin pris en considération le comportement ultérieur du salarié qui s’était vanté d’avoir fait le « buzz ».

Partant de cette méthodologie, la Cour de Cassation rejette le pourvoi et décide que si la rupture du contrat de travail motivée par les propos tenus par un salarié constitue manifestement une ingérence de l’employeur dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10, 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il appartient cependant au juge de vérifier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d’apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif.

Elle considère ains que n’est pas disproportionné et ne porte donc pas une atteinte excessive à la liberté d’expression du salarié son licenciement fondé sur la violation d’une clause de son contrat de travail d’animateur de télévision dès lors que, compte tenu de l’impact potentiel des propos réitérés de l’intéressé, reflétant une banalisation des violences à l’égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l’employeur, cette rupture poursuit un but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et contre les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l’employeur.