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12/05/2025

Abus de droit et transformation de salaires en dividendes

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 29 novembre 2024 (n° 487707), a apporté une clarification importante sur la notion d’abus de droit en matière de rémunération des dirigeants, en particulier lorsqu’un montage vise à transformer des salaires en dividendes afin de bénéficier d’un régime fiscal plus avantageux. Cette décision s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence stricte quant à l’appréciation du but exclusivement fiscal d’un montage.

Abus de droit et transformation de salaires en dividendes

Faits et schéma

La société CGSA, spécialisée dans la gestion de fonds d’investissement, a mis en place à partir de 2009 un dispositif complexe impliquant plusieurs sociétés françaises et luxembourgeoises, l’objectif affiché étant de promouvoir sa marque à l’international. Trois sociétés ont ainsi été créées : CDIF, détenue majoritairement par CGSA et certains de ses dirigeants et salariés, ainsi que les sociétés luxembourgeoises CDIL et CIL, entièrement détenues par CDIF. Ces sociétés étaient censées assurer la promotion internationale des fonds CGSA.

Dans les faits, les sociétés luxembourgeoises CDIL puis CIL percevaient des honoraires de la société CGL (filiale luxembourgeoise de CGSA, chargée de la distribution à l’étranger), puis reversaient presque intégralement ces sommes à CDIF sous forme de dividendes, qui bénéficiait ainsi du régime mère-fille et d’une quasi-franchise d’impôt sur les sociétés. Enfin, CDIF redistribuait ces sommes à ses associés (dirigeants et salariés de CGSA) sous forme de dividendes, selon une clé de répartition décidée par les dirigeants, en fonction notamment de l’activité de promotion réalisée par chacun.

Remise en cause par l’administration fiscale

À la suite de contrôles, l’administration a considéré que ce montage avait pour unique objet de maquiller en dividendes la rémunération due aux dirigeants et salariés de CGSA au titre de leur activité de promotion internationale, laquelle relevait en réalité de leurs fonctions salariées ou de mandataires sociaux au sein de CGSA. Elle a donc écarté l’interposition des sociétés et imposé les sommes en cause dans la catégorie des traitements et salaires, sur le fondement de l’abus de droit (article L. 64 du LPF).

Caractérisation du montage artificiel

Le Conseil d’État a validé l’analyse des juges du fond, estimant que l’interposition des sociétés CGL, CDIL/CIL, CDIF et, le cas échéant, de holdings patrimoniales, présentait un caractère artificiel. Plusieurs éléments ont été relevés :

• Les sociétés luxembourgeoises n’avaient ni les moyens humains ni matériels pour exercer une véritable activité de promotion. • L’objet social de CDIF avait été limité à la détention de participations, excluant toute activité opérationnelle. Dès lors, l’activité de promotion à l’international n’avait pu être exercée par le concours d’un apport en industrie de la société française CDIF. • La répartition des dividendes au sein de CDIF était décidée par les dirigeants de CGSA, selon des critères liés à l’activité de promotion, s’apparentant ainsi à l’attribution de primes de résultats. • Avant la mise en place du montage, l’activité de promotion était assurée directement par les dirigeants et salariés de CGSA, dans le cadre de leurs fonctions habituelles.

Appréciation du but exclusivement fiscal

L’un des arguments avancés par les contribuables était que le montage poursuivait également un objectif de réduction des charges sociales, et ne pouvait donc être qualifié de « but exclusivement fiscal ». Le Conseil d’État a rejeté cet argument : la possibilité de réduire les charges sociales ne retire pas au montage son caractère exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du LPF, dès lors que l’économie d’impôt constitue l’objectif principal. La procédure d’abus de droit peut donc s’appliquer même si le montage permet aussi d’éluder des cotisations sociales.

Portée de la décision

L’arrêt du 29 novembre 2024 s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence constante : les montages destinés à transformer artificiellement des salaires en dividendes, sans justification économique réelle, encourent la qualification d’abus de droit. Les contribuables ne sauraient échapper à la répression de l’abus de droit en invoquant la réduction concomitante de charges sociales. Cette décision invite à une vigilance accrue dans la structuration des dispositifs de rémunération des dirigeants et salariés, qui doivent reposer sur des justifications économiques substantielles et non sur la seule optimisation fiscale.

Conseil d’État du 29 novembre 2024 n° 487707


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