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10/05/2023

Revers pour l’URSSAF dans une tentative d’application des cotisations sociales à des redevances versées à une société exploitant le droit à l’image individuelle d’un joueur de rugby

Cass., civ.2, 16 février 2023, n°21-17.207

Les sportifs professionnels salariés au sein d’associations ou sociétés sportives et qui atteignent un certain seuil de notoriété perçoivent généralement deux principales sources de revenus : D’une part, la rémunération perçue au titre de l’exécution de leur contrat de travail, en rapport direct avec leurs performances et leur potentiel sportif, soumise aux cotisations sociales. D’autre part, la rémunération reçue au titre de l’exploitation de leur image, en principe non soumise aux cotisations sociales dans la mesure où elle n’est pas la contrepartie d’un travail.

Sans entrer dans le détail, les clubs peuvent faire usage de l’image de leurs joueurs sans nécessiter leur consentement lorsque l’utilisation est faite dans un cadre collectif et/ou strictement sportif (i.e., diffusion de l’image du joueur en tant que membre d’une équipe, dans le cadre d’une compétition, etc.). En revanche, l’exploitation de l’image individuelle du joueur peut donner lieu au paiement de redevances.

Au plan juridique, l’exploitation de l’image individuelle peut être structurée selon des modalités très diverses. Le joueur peut notamment consentir à son club les droits d’exploitation de son image en contrepartie d’une rémunération complémentaire qu’il percevra directement – la loi l’autorise explicitement depuis 2017[1] – ou confier l’exploitation de son image à une société.

Ces versements de redevances sont particulièrement scrutés par l’URSSAF qui, dans de nombreux cas, les considère volontiers comme des revenus complémentaires perçus dans le cadre du contrat de travail à soumettre aux cotisations sociales.

C’est ainsi que, dans une affaire récemment portée à l’attention de la Cour de cassation, l’URSSAF a estimé que les redevances versées par un club de rugby à une société exploitant l’image de l’un de ses joueurs (en parallèle du salaire que le club versait au joueur concerné) devait être soumises aux cotisations sociales, au motif que cette société était fictive et qu’elle n’avait pour seul objet que de permettre au joueur de percevoir un complément de rémunération non soumis aux cotisations sociales.

A-t-elle été suivie par les juges dans cette analyse ? Dans un premier temps, oui. La Cour d’Appel saisie de l’affaire s’était en effet prononcée en faveur de l’URSSAF. Mais la Cour de cassation, sans se prononcer sur le fond du dossier, a finalement tranché en faveur du contribuable en considérant que l’URSSAF n’avait pas respecté la procédure adéquate pour fonder son redressement.

Rappelons en effet que, selon l’article L 243-7-2 du code de la sécurité sociale, afin d’en restituer le véritable caractère, les URSSAF « sont en droit d’écarter, comme ne leur étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit , soit que ces actes aient un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

Il est dans ces situations considéré que les auteurs de ces actes ont commis un « abus de droit ». La répression de tels abus fait l’objet d’un régime légal spécial prévoyant des sanctions lourdes (application automatique de pénalités en sus des rappels de cotisations sociales) mais aussi en contrepartie la nécessité de respecter une procédure particulière qui intègre des garanties spécifiques au bénéfice des employeurs concernés, en particulier le droit de saisir le comité de l’abus de droit, autorité indépendante des URSSAF qui a pour charge d’examiner les circonstances de l’affaire et de donner un avis éclairé sur l’existence ou non d’un abus de droit.

Ici, au vu des motifs avancés par l’URSSAF pour fonder son redressement – i.e., elle prétextait de la fictivité de la société d’image – la Cour de cassation a considéré qu’elle ne pouvait pas choisir de se placer en dehors de la procédure de l’abus de droit et ainsi priver le club concerné des garanties offertes par cette procédure qui sont considérées comme substantielles. En ne permettant pas au club de s’en prévaloir, l’URSSAF a porté atteinte aux droits de la défense. La Cour de cassation a par conséquent jugé que la procédure intentée contre le club de rugby était viciée, et a par conséquent cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel qui validait le redressement.

Cet arrêt de la Cour de cassation rappelle ainsi à l’URSSAF qu’elle ne peut faire usage du pouvoir qui lui sont conférés par le dispositif légal de lutte contre les abus de droit, notamment celui d’ignorer l’existence juridique d’une société qu’elle considère fictive, qu’en respectant strictement la procédure prévue et les garanties qu’elle offre aux employeurs. Il rappelle également aux clubs tout l’intérêt d’être bien conseillés, non seulement pour la structuration des flux liés à l’exploitation de l’image de leurs joueurs, mais aussi en matière procédurale !

Peut-on en tirer d’autres conclusions quant au montage en lui-même ? Faut-il craindre des redressements systématiques en présence de tels montages ? Probablement pas, dès lors qu’ils sont bien structurés, qu’ils disposent d’une substance suffisante et qu’ils traduisent une réalité économique. Pour autant, cette affaire témoigne encore d’une certaine vigilance – voire d’un certain regard – de l’URSSAF sur ces montages et appelle donc à une grande prudence lors de leur mise en place.


[1] Art. L 222-2-10-1 du Code du sport